TRIBUNE LIBRE
- administrateur
- 5 juin 2018
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Nous publierons régulièrement des textes des insoumis, des sympathisants ou de qui vaudra bien nous en faire parvenir (dans les conditions que nous avons définies dans « Qui sommes-nous ») et qui n’engagerons que leurs auteur.e.s. Ils pourront être signés ou pas, selon la volonté de chacun.
La marée populaire a-t-elle eu lieu ?
La journée du 26 mai qui devait être une marée populaire contre Macron n’a pas donné le résultat escompté. Quelle que soit la bataille des chiffres, 280 000 ou 90 000 en France, 1 500 ou 1 000 à Tours, la participation a été médiocre. Très loin de ce que chacun peut ressentir au quotidien du mécontentement de la population envers la politique de Macron. Pour comprendre pourquoi, après plus de dix manifestations ces derniers mois, le nombre de participants décroît à chaque nouvelle date, il suffit d’écouter ce qui se dit dans les manifs. Le sentiment que ça ne changera pas grand-chose, qu’on est là parce qu’il le faut, que ça permet de voir des copains mais que ce n’est pas ce type de contestation qui fera plier le gouvernement… Généralement, le sentiment dominant est que c’est plus folklorique qu’efficace, ce qui devient vrai puisqu’aucune des grandes manifs de ces dernières années n’a donné un quelconque résultat. Il faut remonter à 1995 (manif contre Juppé sur la question des retraites), puis 2003 (contre le CPE de Luc Ferry) et 2005 (contre la réforme Fillon de l’éducation) pour voir des manifestations faire abandonner des lois ou les modifier profondément. Pour ceux qui ont vécu ces mouvements, ce sont à chaque fois plusieurs centaines de milliers de manifestants qui défilaient dans les rues, voire des millions. Ainsi, la manif contre le CPE avait réuni dix mille personnes à Tours… Alors pourquoi cela ne marche pas contre Macron ?
Déjà, nous venons de vivre des années qui ont considérablement décrédibilisé la gauche de gouvernement avec la politique libérale menée sous Hollande et les attaques contre le monde du travail, notamment à travers les lois El Khomri. Malgré les scores de Mélenchon et de la France Insoumise aux dernières élections, il n’en reste pas moins que l’opposition de gauche est réduite à sa plus simple expression, avec un PS définitivement passé à droite et un PC qui se remet mal d’avoir accepté de s’allier avec les sociaux-démocrates. De fait, les perspectives politiques sont minces. Le socle de la FI n’est pas encore suffisant pour pouvoir être la seule force d’opposition de gauche crédible, qui incarnerait une solution immédiate de rechange à Macron. Et ce ne sera peut-être pas le cas avant longtemps. D’autre part, les organisations syndicales sont loin de faire l’unité contre la politique libérale de Macron. Ainsi, les directions de la CFDT, de la CFTC, de l’UNSA sont-elles prêtes à toutes les compromissions avec le pouvoir au nom d’une soi-disant modernité et la nécessaire adaptation à ce monde qui change. Bien souvent contre leurs adhérents et même contre certaines de leurs fédérations… Quant à la CGT, elle cherche aujourd’hui une alternative à l’effondrement qu’elle a connu et qui fait d’elle la deuxième organisation syndicale dans le privé (elle reste première organisation syndicale de ce pays si on considère privé et public). Reconnaissons que sa participation en tant que telle à la journée du 26 mai a sans doute été une décision difficile à prendre. FO est prise dans ses débats internes entre ceux qui ont soutenu Mailly et ceux qui espèrent un syndicat plus combatif… Ne parlons pas de la CGC, syndicat catégoriel qui se désintéresse de l’ensemble du monde du travail dès lors que les cadres conservent leur pré carré. Quant à Sud, il reste extrêmement minoritaire. Compte tenu des divergences de fond entre ces organisations syndicales, il ne faudra pas attendre qu’elles se décident à conduire la convergence des luttes. Elles ont même intérêt à ce que cela ne se produise pas : leurs appareils, leurs positions n’y résisteraient pas ! Continuer à lancer des mots d’ordre de manifestation, dans ces conditions, nous permettra seulement de nous dégourdir les jambes. Pas plus. Cela veut-il dire qu’il n’y a pas de possibilité de contestation ? Certainement pas. Mais sous d’autres formes, impérativement. Nous pourrions pour cela nous inspirer de ce que nous avons connu sous Hollande avec le mouvement Nuit Debout.
Ainsi, si nous prenons la dernière manifestation à Tours, le 26 mai : plutôt que de se disperser place Anatole France, des Insoumis avaient proposés d’organiser un immense pique-nique sur cette même place. L’idée a été rejetée par les syndicats. Pourtant cela aurait permis l’occupation de l’espace public sous une autre forme que cette manif tristounette qui sonnait comme le final de combats perdus d’avance. Et ce serait une catastrophe (souvenons-nous du combat des aiguilleurs du ciel contre Reagan, des mineurs contre Thatcher : ce fut un coup décisif contre les syndicats dans ces pays... Sans doute le rêve de Macron et du MEDEF). Une occupation festive de la place Anatole France aurait permis aussi que les contacts s’établissent entre les manifestants dans une ambiance joyeuse qui se serait certainement prolongée tard (on sait que dans ces cas, il y a toujours quelques musicos qui sortent les instruments et des gens qui dansent. La Carmagnole, qui sait ?) Et cela aurait inévitablement conduit à des propositions d’actions sur les prochains jours. Au lieu de cela, chacun est rentré chez soi avec un sentiment d’inaccompli, d’inachevé, de désespoir… Bref, malgré les déclarations des uns et des autres, il faut tenir un langage de vérité : cette journée n’a pas été un succès (c’est un euphémisme pour ne pas dire un échec), parce que l’appel à des manifestations classiques ne fait plus recette, ni auprès des participants que nous recherchons, ni auprès du pouvoir.
Si nous voulons vraiment combattre avec efficacité la politique ultra-libérale de Macron, de son gouvernement de droite et de ses députés godillots, il est urgent d’inventer de nouvelles formes de luttes. Parce qu’il ne suffit pas d’appeler à une convergence des luttes qui ne viendra pas, en l’état actuel du paysage politique français. Soyons clairs, s’il s’agit toujours du combat du Travail contre le Capital, seule notre capacité à accepter de nouvelles formes de luttes nous permettra de mettre un terme à l’avidité sans cesse croissante des plus riches. Aussi, il ne peut y avoir de riposte à cette offensive contre les droits sociaux que si le mouvement est populaire, c’est-à-dire soutenu par l’opinion publique, majoritairement composée d’individus non politisés et objectivement mal informés. Et cette riposte ne sera efficace, c’est-à-dire prise au sérieux en « haut lieu », que si elle touche les puissants au porte-monnaie.
Ainsi, pour donner quelques idées et n’être pas seulement dans l’incantation, on peut mener des opérations comme les transports gratuits (plutôt qu’une grève qui s’épuise et s’étiole au fil du temps, comme celle de la SNCF) ; bloquer les assemblées d’actionnaires des grandes entreprises du CAC 40 comme vient de le faire Greenpeace chez Total ; demander des comptes aux élus de façon systématique et quotidienne, dans leur boîte mail, en faisant des sit-in ou en menant des actions ponctuelles et/ou régulières devant leur permanence, devant les mairies, etc. ; demander des explications (en argumentant), par mail, courrier, etc. aux pseudo-experts qui interviennent dans les médias, et qui ont tous le même avis ; improviser des conférences de rue ; faire régulièrement des actions symboliques fortes dans l’espace public, à l’exemple des militants de Loches qui ont déployé une banderole en haut d’une tour avec un slogan appelant à la révolte...
Bref, arrêtons les manifs tous les 15 jours, et renouvelons les formes militantes pour donner un nouvel élan à une colère qui s’étend, sans attendre les prochaines élections !
Séverine, Dominique
membres du GA Fondettes, Luynes, Saint-Etienne-de-Chigny
Crédit photos : Philippe Quandalle
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