PETITS ÉLÉMENTS D’ÉCONOMIE (MAIS PAS LIBÉRALE…) - 2
- administrateur
- 11 juin 2018
- 16 min de lecture
Vous aurez sans doute reconnu (ou pas) le portrait de Karl Marx, jeune (la barbe change tout…) et celui d’Adam Smith[i].
Nous reprenons ici notre présentation des bases de l’économie. Nous verrons ce que signifie la marchandise, l’aliénation[ii], la valeur d’usage et la valeur d’échange et la force de travail.
La Marchandise
« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises. L'analyse de la marchandise, forme élémentaire de cette richesse, sera par conséquent le point de départ de nos recherches. ». Karl Marx commence Le Capital par cette phrase. Ainsi, la marchandise a un sens précis en économie et particulièrement dans l’analyse critique du capitalisme.
Une marchandise est un produit de l'activité humaine, destiné à être échangé sur un marché, via l'achat et la vente. Pour qu'un objet soit une marchandise, il faut d'abord qu'il ait une utilité sociale (valeur d'usage). Cette notion d'utilité sociale doit être comprise sans aucune connotation morale : une arme ou un jet privé est une marchandise au même titre qu'un sachet de pates, puisqu'il existe un marché pour ces biens. Une fois produite, la marchandise est vendue au moyen de la monnaie sur la base d'un prix : sa « valeur d'échange » ou « valeur marchande ». Cette valeur est le reflet du temps de travail socialement nécessaire pour la produire (loi de la valeur), avec éventuellement une variation due à la loi de l'offre et de la demande.
Il y a sans doute peu de naïfs pour croire que la production est organisée pour répondre aux besoins sociaux. En revanche, depuis Adam Smith, certains essaient de faire passer l'idée que par le miracle de l'initiative privée, elle tend à y répondre. C'est évidemment ce dont les profiteurs voudraient se convaincre pour exorciser une éventuelle mauvaise conscience. Mais c'est aussi et surtout ce qu'on l'on martèle pour chasser de nous l'idée que nous pourrions organiser nous-même cette production...
Pour les défenseurs les plus zélés du capitalisme, tout serait simple : s'il y a une demande, il y a un marché, et des investisseurs viendront proposer de l'offre.
La réalité crue c'est que d'un côté le capitalisme a une tendance à paupériser, et de l'autre il n'a pas intérêt à répondre à la demande, mais uniquement à la demande solvable, c'est-à-dire à ceux qui peuvent payer.
Mais le plus absurde est sans doute que l'immense majorité des consommateurs, qui sont aussi dans la majorité des producteurs -dépossédés des moyens de production- n'a aucun mot à dire sur le contenu qualitatif de la production de marchandises.
Cela représente non seulement une aliénation au cœur même de la production, mais également une aliénation dans le but de la production, la consommation, puisque nous sommes sans cesse invités (publicité) à adapter nos besoins à ce que les capitalistes désirent écouler.
Le capitalisme nécessite pour accroître ses sources de profits la soumission de toutes les activités humaines et de leurs produits à l'échange marchand. C'est un phénomène présent dès l'origine du capitalisme, que Marx décrivait déjà : « Le capital a donc d’abord tendance à soumettre chaque moment de la production elle-même à l’échange et à abolir la production de valeurs d’usage immédiates n’entrant pas dans l’échange, c’est-à-dire à substituer la production basée sur le capital à d’autres modes de production antérieurs qu’il juge trop enracinés dans la nature. »[iii]
De nombreux socialistes ont polémiqué contre cette tendance à la marchandisation. Ainsi Louis Blanc écrivait : « Dieu en soit loué ! On n’est pas encore parvenu à s’approprier exclusivement les rayons du soleil. Sans cela, on nous aurait dit : « Vous paierez tant par minute pour la clarté du jour » et le droit de nous plonger dans une nuit éternelle, on l’aurait appelé Liberté ! »[iv]
C'est cette pression qui explique les évolutions récentes qui peuvent paraître révoltantes ou aberrantes mais ne sont en rien nouvelles :
· Dépôts de brevets sur les plantes, les idées, les couleurs, les gênes...
· Privatisation de services tels que la santé, l'éducation, l'électricité, l'eau...
Ces évolutions, lorsqu'elles s'accélèrent comme dans la phase néolibérale actuelle, peuvent se traduire dans la sphère idéologique ou du langage :
· Passage d'usagers à clients.
· Notions d'offre et de demande largement employées dans les administrations.
· Notion de "panier de soin" dans la dernière contre-réforme de l'assurance maladie.
Cette extension accélérée de la marchandisation n'échappe à personne, et de nombreuses luttes lui font écho, avec leurs limites. Il y a une sorte d'opprobre moral qui s’abat sur le statut de marchandise, opprobre qui s'abat souvent sur le consommateur. Si l'aliénation qui se manifeste dans le consumérisme ne fait aucun doute, tout comme ses lourdes conséquences écologiques et sociales, il est nécessaire de rappeler que c'est bien un rapport de domination qui est l'enjeu majeur. C'est se battre en vain contre une conséquence que d'attaquer les effets du système capitaliste sans remettre en cause le cœur de son fonctionnement : la propriété privée des moyens de production.
Aliénation

L'aliénation est la dépossession de l'individu de ses capacités par des forces supérieures. On peut parler d'aliénation à un niveau individuel (aliénation mentale par exemple), ou à un niveau social.
Pendant des millénaires, l'humanité a vécu dans la dépendance étroite par rapport aux forces incontrôlées de la nature. Elle ne pouvait que chercher à s'adapter à un milieu naturel donné, chaque petit groupe humain en fonction du sien propre. Elle était prisonnière d'un horizon étroit et étriqué, même si plusieurs sociétés primitives ont pu développer de manière remarquable certaines potentialités humaines (par exemple peinture Paléolithique).
Avec le développement des forces productives, l'humanité arrive petit à petit à renverser ce rapport de dépendance absolue. Elle réussit à soumettre toujours plus de forces de la nature, à les contrôler, à les domestiquer, à les utiliser consciemment dans le but d'accroître sa production, de diversifier ses besoins, de développer ses potentialités, d'amplifier ses rapports sociaux qui finissent par englober toute notre planète, et par unifier potentiellement l'humanité toute entière.
Mais plus les hommes s'émancipent par rapport aux forces de la nature, plus ils s'aliènent par rapport à leur propre organisation sociale. Au fur et à mesure que les forces productives croissent, que la production matérielle progresse, que les rapports de production deviennent ceux d'une société divisée en classes, la masse de l'humanité ne contrôle plus l'ensemble de sa production, ni l'ensemble de son activité productrice. Elle ne contrôle donc plus son destin social.
Dans la société capitaliste, cette perte de contrôle devient totale. Libérée de l'asservissement à la fatalité de la nature, l'humanité semble de plus en plus soumise à la fatalité de son organisation sociale. Un sort aveugle semble la condamner à subir, non plus les effets irrésistibles des inondations et des tremblements de terre, des épidémies et des sécheresses, mais bien ceux des guerres et des crises économiques, des dictatures sanglantes et des destructions, voire l'anéantissement nucléaire. La crainte de ces cataclysmes inspire autant sinon plus d'angoisse que jadis, la peur de la foudre, de la maladie ou de la mort.
L'aliénation a plusieurs dimensions dans la vie sociale dominée par le capitalisme. Mais dans une optique matérialiste, on doit d'abord considérer l'aliénation source, l'aliénation dans le travail. Cette aliénation détermine en grande partie les autres aliénations, notamment dans la sphère idéologie.
Dans le mode de production capitaliste, le travailleur vend sa force de travail. La finalité de son travail est hors de sa portée, la marchandise produite lui est du début à la fin extérieure. Ainsi dans les rapports de production capitalistes, le rôle de l'ouvrier est assimilable en apparence à celui de la machine, aux moyens de production, bien qu'il créée de la valeur. On pense bien évidemment aux Temps modernes de Charlie Chaplin, mais Marx avait déjà identifié à sa façon la quintessence de cet état aliéné : « En quoi consiste l'aliénation du travail ? D'abord dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s'affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l'aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. »[v]. Ou encore : « Un homme qui ne dispose d'aucun loisir, dont la vie tout entière, en dehors des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc., est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu'une bête de somme. C'est une simple machine à produire la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement. Et pourtant, toute l'histoire moderne montre que le capital, si on n'y met pas obstacle, travaille sans égard ni pitié à abaisser toute la classe ouvrière à ce niveau d'extrême dégradation [...] »[v]. Cette aliénation n'est pas valable pour le champ du travail, elle en déborde par nature : « Une conséquence immédiate du fait que l'homme est rendu étranger au produit de son travail : l'homme est rendu étranger à l'homme. »[v]
Les prolétaires[vi] sont en parallèle aliénés sur le plan idéologique : aliénés par les média, par la religion, par l'argent, par l'idéologie bourgeoise en général. Cela découle du pouvoir qu'a la classe capitalistee sur les travailleurs, à la fois directement, en leur apparaissant comme la classe du mérite, des pourvoyeurs de travail, des organisateurs de la production, et à la fois par une propagande supplémentaire distillée à chaque instant par des idéologues zélés (économistes néoclassiques, droite décomplexée et populiste...).
Cependant, le même développement impérieux des forces productives qui pousse jusqu'à l'extrême l'aliénation de l'homme par rapport à sa propre production et à sa propre société, crée, sous le capitalisme, la possibilité d'une véritable émancipation de l'homme.
Cette possibilité doit être conçue dans un double sens. L'humanité sera de plus en plus capable de contrôler et d'autodéterminer son développement social, ainsi que les bouleversements du milieu naturel dans lequel il se produit. L'humanité sera de plus en plus capable de faire exploser toutes ses potentialités de développement individuel et social, potentialités jusqu'ici étouffées ou mutilées par l'insuffisance de son contrôle sur les forces de la nature et sur l'organisation et le devenir social.
La construction d'une société sans classes implique l'émancipation du travail, l'émancipation de l'homme en tant que producteur. Les travailleurs deviennent maîtres de leurs produits et de leurs processus de travail. Ils choisissent librement les priorités dans la répartition du produit social. Ils décident collectivement et démocratiquement des charges de production, des sacrifices de loisirs et de consommation courante, qui présideront à cette répartition.
Certes, ces choix continueront à s'effectuer dans un certain cadre contraignant. Aucune société humaine ne peut consommer davantage que ce qu'elle produit sans réduire ses réserves et ressources productives, ni se condamner à réduire plus tard même sa consommation courante, dès que l'épuisement des réserves et la réduction des ressources productives auront atteint un certain seuil. Dans ce sens, la formule d'Engels, selon laquelle la liberté c'est la reconnaissance de la nécessité, reste vraie.
Mais il a une deuxième dimension à la désaliénation humaine qui élargit singulièrement la sphère de la liberté humaine. Lorsque sont satisfaits tous les besoins de base pour tous les hommes, lorsque la reproduction de cette abondance est assurée, la solution des problèmes matériels cesse d'être prioritaire pour l'humanité. L'homme s'émancipe de l'asservissement au travail mécanique, non créateur. Il se libère de la nécessité de mesurer chichement l'emploi de son temps, de le consacrer surtout à la production matérielle. Le développement d'activités créatrices, le développement de sa riche individualité, développement de rapports humains de plus en plus amples, prend le dessus sur l'accumulation sans cesse croissante de biens matériels de moins en moins utiles.
Cette pratique sociale bouleversera dès lors non seulement les rapports de production elle bouleversera toute l'organisation sociale, toutes les habitudes traditionnelles, la mentalité et la psychologie des hommes. L'égoïsme matériel et l'esprit de concurrence s'étioleront faute d'être nourris par l'expérience quotidienne et des intérêts majeurs.
L'humanité bouleversera son milieu géographique. La configuration du globe, le climat et la répartition des grandes réserves d'eau, tout en préservant ou rétablissant l'équilibre écologique. Elle bouleversera jusqu'à ses propres bases biologiques. Elle ne pourra réussir ces gageures de manière absolument volontariste, indépendamment de préconditions et d'une infrastructure matérielle suffisantes. Mais une fois assurée cette infrastructure, c'est l'humanité active, et de plus en plus libre de ses choix, qui deviendra le levier principal pour la création d'un homme libre et désaliéné
Valeur d'usage et valeur d'échange
La valeur d’usage et la valeur d’échange sont les deux caractéristiques essentielles de la marchandise.
La distinction valeur d'usage/valeur d'échange est utilisée par Marx, mais avant lui elle avait déjà été établie et utilisée par Aristote, Adam Smith ou Ricardo[vii].
Valeur d'usage

Tout objet que l'on utilise a par définition une valeur d'usage. N'importe quel objet peut avoir une valeur d'usage, qu'il soit marchandise ou non : un couteau du commerce ou un silex taillé soi-même reste un objet avec une valeur d'usage pour son utilisateur. C'est l'utilisation qui la lui confère, dit autrement, « La valeur d'usage n'a de valeur que pour l'usage et ne se réalise que dans le procès de la consommation. »[viii] En revanche, toute marchandise possède une valeur d'usage, puisque c'est la condition première pour qu'elle intéresse des acheteurs.
Valeur d'échange
Depuis le troc primitif jusqu'à la société marchande d'aujourd'hui, des objets ont été échangés couramment. Si l'on prend le cas moyen d'un échange équilibré, il existe donc une grandeur commune entre les deux objets que l'on échange. Plus généralement, il existe une grandeur commune à toutes les marchandises échangeables sur le marché., grandeur qui se matérialise dans leur étalon commun : l'argent. Cette grandeur est la valeur d'échange.
La double nature de la marchandise
Une marchandise est donc caractérisée à la fois par sa valeur d'usage, et par sa valeur d'échange. Dans le langage du Capital de Marx, c'est ce qui est appelé la nature bifide de la marchandise.
Si un bien est offert sur un marché c’est nécessairement qu’il a une utilité sociale. L'acheteur voit cette utilité, et de son côté le marchand pense en tirer quel qu’argent. L'un voit la valeur d'usage et l'autre la valeur d'échange. Et, que l’on soit acheteur ou marchand, à un instant donné, la marchandise ne présente qu’une seule de ces qualités, et le fait de la voir sous cet angle lui fait perdre l’autre qualité.
On peut prendre une image : la bouteille de vin de collection, a une valeur d’usage (le fait d’être buvable …) et une valeur d’échange (qui fera monter la prime d’assurance). Si on boit le contenu, la bouteille n’a plus de valeur ; si on ne la boit pas, on n’en fera aucun usage, mais elle conservera sa valeur.
Origine de la valeur d'échange
Comment est définie la valeur d’échange ? Si on peut échanger une table contre quatre chaises, ou deux marteaux contre un CD, quelle est cette valeur X telle que deux marteaux = X = 1 CD ? Qu’y a-t-il de commun entre ces marchandises ? Hormis la matière première, c’est uniquement le temps qu’il a fallu pour les fabriquer (incluant le temps pour fabriquer les machines-outils qui ont servi à fabriquer les pièces ...).
La valeur d’échange est en relation avec du temps de travail. C'est la loi de la valeur.
Historique
Dans les sociétés primitives communautaires, le peu de biens disponibles était collectif. Dans la vie ordinaire, les échanges étaient donc immédiats : gibier ou fruits ramenés par les chasseurs-cueilleurs confiés à l'ensemble des membres, outils fabriqués mis en commun, etc... La valeur d'échange ne pouvait alors jouer qu'un rôle extrêmement marginal, au niveau des échanges entre différents clans.
Les sociétés agricoles d'après la révolution néolithique étaient basées sur une exploitation des paysans-esclaves ou paysans-serfs. Les activités marchandes s'y sont lentement développées, mais sont restées périphériques dans toutes les sociétés pré-capitalistes. Certains peuples étaient concentrés sur l'activité marchande, mais cela n'était rendu possible que par leur rôle d'intermédiaires entre les peuples producteurs.
« Dans l'Antiquité, la valeur d'échange n'était pas le nervus rerum[ix] ; elle ne l'était que chez les peuples marchands, qui, tout en assurant les transports, ne produisaient pas ce qu'ils vendaient. Mais, les Phéniciens, les Carthaginois, etc. n'y jouaient qu'un rôle secondaire. Ils vivaient dans les interstices du monde antique, comme les Juifs en Pologne ou au Moyen-Âge. C'était le monde ambiant qui était le support de ces peuples marchands, et chaque fois qu'ils entraient en conflit avec les anciennes communautés, il leur en cuisait. »[iii]
Loi de la valeur
La loi de la valeur indique que la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par le travail humain qu'elle incorpore. Il s'agit de la valeur réelle, la valeur de marché oscillant autour de celle-ci en fonction de l'offre et la demande.
La loi de la valeur, énoncée par Marx, indique que la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Ainsi, plus la production d'une marchandise demande de temps, plus cette marchandise aura une valeur importante.
Ce qui compte, dans l'établissement de la valeur d'échange d'une marchandise, est le temps de travail socialement nécessaire à sa production, et non le temps de travail réellement fourni pour la produire. Sinon, un vêtement produit par un artisan paresseux ou maladroit, qui travaillerait deux fois plus lentement que la moyenne, aurait une valeur deux fois plus grande que les vêtements identiques produits plus rapidement par d'autres artisans...
Si on décompose le prix d'une marchandise en ses éléments constituants et qu'on remonte suffisamment loin, on ne trouve que du travail. En effet, le prix d'une marchandise peut être ramené à quatre éléments :
· l'amortissement du capital fixe (entretien du matériel, etc.) ;
· l'amortissement du prix des matières premières ;
· le salaire ;
· la plus-value.
Le salaire et la plus-value sont du travail pur. Le prix des matières premières est composé en partie du salaire des travailleurs utilisés pour les extraire, en partie du prix d'autres matières premières et de l'amortissement du capital fixe. Le prix du capital fixe se décompose lui-même en une partie de travail et une partie de matières premières, et ainsi de suite. Quand on continue cette analyse suffisamment longtemps, la proportion du travail dans le prix de la marchandise tend vers 100%.
Celle-ci est énoncée par Marx au début du Capital. Son raisonnement est le suivant : pour que des marchandises puissent être échangées, il faut qu'elles soient comparables l'une à l'autre, donc qu'elles aient un point commun. Il ne peut pas s'agir de leurs qualités naturelles : ni le poids (par exemple, un kilo d'or et un kilo de beurre n'ont pas la même la valeur), ni la taille, ni la forme ou la couleur, etc. Marx conclut que le seul point commun de ces marchandises qui ne soit pas physique, c'est qu'elles sont des produits du travail humain.
Dans une société où le travail n'existerait pas (où tout serait produit par des robots par exemple), personne ne recevrait de revenu puisque personne n'interviendrait dans la production. Mais si personne n'avait de revenu, alors personne ne pourrait rien acheter, les marchandises ne pourraient pas être vendues, ni, donc, définies par leur valeur.
Pour qu'un bien soit une marchandise, dont la valeur est déterminée par la loi de la valeur, il faut que ce bien soit générique, reproductible. Un certain nombre de biens échappent totalement ou partiellement à ce critère.
Les œuvres d’art sont marchandisées, mais leur valeur marchande est déterminée spéculativement. Le prix d'un tableau original d'un grand peintre est sans rapport concevable avec le temps de travail socialement nécessaire à sa production, tout simplement parce qu'il n'y a pas de production de masse, pas de travail social autour de ce tableau original. En revanche, une reproduction du tableau sera une marchandise dans le plein sens du terme.
Les produits de la recherche scientifiques sont également un cas particulier. Marx souligne qu'ils ont bien été marchandisés par le capitalisme (qu'ils ont contribué à faire naître) : « Si le procès productif devient sphère d’application de la science, alors la science devient inversement une fonction du procès productif. »[x]
Mais il remarque que ces marchandises sont par nature sous-évaluées par la loi de la valeur :« En tant que produit du travail intellectuel, la science se trouve toujours au-dessous de sa valeur. Parce que le temps de travail nécessaire à sa reproduction n’a aucun rapport avec le temps de travail nécessaire à sa production originelle. »
Force de travail
La force de travail est un concept fondamental du socialisme scientifique, qu'il est important de dissocier du travail pour comprendre l'exploitation des salariés sous le capitalisme.
Définition
La force de travail est la capacité à travailler, et non pas un travail concret particulier. C'est un concept qui recouvre une réalité bien réelle, puisque c'est la force de travail qui est la marchandise que doivent vendre les travailleurs salariés à leurs employeurs capitalistes.
Lors de l'embauche, le patron achète (via le salaire) le droit à disposer de la force de travail de l'employé, pour une certaine durée. Au cours de cette durée, le travailleur se met à l'œuvre sur les moyens de production du capitaliste (machines-outils, ordinateurs...), et créé une certaine valeur (qui appartient au propriétaire des moyens de production). Sur cette valeur, il y a assez pour que le capitaliste puisse payer les salaires, mais il y a également une survaleur, la plus-value, qui se transforme en profit lorsque les marchandises sont vendues.
Pour le patron, la force de travail est donc une marchandise dont la valeur d'usage est de créer de la valeur.
Valeur de la force de travail
Comme toute marchandise, la force de travail a une valeur d'échange, qui correspond ici au salaire. Cette valeur moyenne est déterminée par des lois sociales : loi de la valeur, loi de l'offre et la demande, et rapports de forces entre les classes exploitée et exploiteuse.
« La valeur d'un homme, son estimation, est, comme pour toutes les autres choses, son prix, c'est-à-dire exactement ce qu'on en donne pour l'usage de sa force. »[xi]
« Il faut de toute nécessité qu'un homme vive de son travail, et que son salaire suffise au moins à sa subsistance ; il faut même quelque chose de plus dans la plupart des circonstances ; autrement il serait impossible au travailleur d'élever une famille, et alors la race de ces ouvriers ne pourrait pas durer au-delà de la première génération. »[xii]
La base du salaire est déterminée par l'argent nécessaire au travailleur pour se nourrir, se loger, se vêtir... et se régénérer pour être disponible le jour suivant. Etant donné que dans chacun de ces domaines, la loi de la valeur s'applique, cet argent est déterminé par la somme des temps de travail socialement nécessaire à produire ces différents biens. En conséquence, on retombe sur la loi de la valeur : la valeur de la force de travail est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à la (re)production de la force de travail.
Du point de vue directement concret, il serait absurde que le salaire moyen descende en dessous de cette valeur : le patronat a besoin d'une main d'œuvre en vie ! Cela n'empêche pas que le minimum vital peut toujours descendre plus bas sous la pression du capitalisme (pression patronale, menace du chômage, absence d'autres perspectives...). Le syndicalisme et les luttes ouvrières constituent la première arme des prolétaires pour tenter au moins de défendre leurs conditions de travail, au mieux de les améliorer. Il n'y a en soi aucun salaire ni conditions de travail décents, ce n'est que la norme sociale donnée à un lieu et une époque donnée.
Ce salaire peut être modulé par la loi de l'offre de la demande : si la main d'œuvre est plus rare dans un secteur donné, il y une tendance à la hausse des salaires, et inversement. Cependant, une des conquêtes de base du mouvement ouvrier a été d'obtenir des contrats de travail fixant légalement le salaire, pour éviter les variations au grès du marché capitaliste. Diverses échéances ont ensuite pour but de négocier les évolutions de salaires (négociations annuelles obligatoires...).
Dans la partie 3, nous parlerons de la plus-value, du taux de plus-value et du taux de profit… qui sont des éléments essentielles pour comprendre l’économie.
[i] Adam Smith (5 juin 1723 - 17 juillet 1790) était un philosophe et économiste. Il est considéré comme le fondateur des sciences économiques modernes. Son étude, La Richesse des nations publiée en 1776, est un des textes fondateurs du libéralisme économique.
[ii] En fait, il s’agit de l’aliénation sociale. Il n’est pas de notre ressort de parler de l’aliénation mentale…
[iii] Marx, Grundrisse, Éditions Sociales, tome I, p. 346-349
[iv] Louis Blanc, Le Nouveau Monde du 15 juillet 1850
[v] Manuscrits de 1844, Karl Marx
[vi] Il faut entendre ici le prolétariat comme l’ensemble des personnes obligées de vendre leur force de travail pour vivre, ne possédant pas de moyen de production. Par extension y sont aussi inclus ceux qui sont sans emploi (chômeurs), ceux qui en ont vécu (retraités) et ceux qui en vivront (jeunes de familles prolétaires). Dans notre société capitaliste, c'est la classe sociale dont les intérêts objectifs sont diamétralement opposés à ceux du capitalisme
[vii] David Ricardo, 1772-1823, est un économiste britannique. Il est considéré comme l'un des économistes libéraux les plus influents de l'école classique aux côtés d'Adam Smith et de Thomas Malthus.
[viii] Le Capital, Livre I, Chapitre 1, Karl Marx, 1859
[ix] Nerf de la guerre
[x] K. Marx, Manuscrits de 1861-1863
[xi] Thomas Hobbes, Leviathan. Thomas Hobbes, 1588-1679, est un philosophe anglais dont l’œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté. Le Léviathan eut aussi une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle, et sur l'étude des relations internationales et de son courant rationaliste dominant : le réalisme.
[xii] Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776
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