PETITS ÉLÉMENTS D'ÉCONOMIE (MAIS PAS LIBÉRALE…) – 1
- administrateur
- 22 mai 2018
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Nous vous avons parlé, dans un précédent post, de baisse tendancielle du taux de profit. Il n’est pas dans notre propos d’utiliser régulièrement des termes dont la compréhension échappe au commun des mortels. Ils sont souvent des moyens de mettre une distance entre ceux qui savent et le petit peuple qui n’entendrait rien aux affaires économiques. Et partant de là, d’exclure la grande majorité des gens, salariés, artisans, petits commerçants et agriculteurs, de la sphère économique et des décisions qu’elle prend et qui pourtant les concernent tous…

Aussi, régulièrement, nous donnerons quelques définitions et significations de termes qui permettront de comprendre mieux comment fonctionne le système économique dominant qui fait que 90% de l’humanité détient seulement 20% des richesses tandis que les 10% restant en détiennent 80%.
Soyons clair, les notions que nous allons développer sont des notions que Marx a exposé aux trois-quarts du XIXe siècle et qui depuis n’ont eu de cesse d’être combattues par les tenants du capitalisme. Aujourd’hui encore, il n’est pas un jour sans que quelque spécialiste ne vienne nous expliquer en quoi le monde a changé et combien ces notions marxistes sont obsolètes. Laissons-les à leur servitude et rappelons cependant le regain de la théorie économique marxiste, notamment aux USA parmi la jeunesse. Car depuis ce siècle et demi écoulé depuis la publication du Capital[i], rien n’a changé sous le ciel : les salariés créent toujours la richesse et ceux qui possèdent le capital en tirent les dividendes.
Accumulation du Capital
Nous allons donc commencer par le commencement : pour pouvoir parler du capital et des capitalistes, encore faut-il savoir comment le capital est né. Parce que comme dirait Macron, il n’y a pas d’argent magique ! En ce sens, la notion d’accumulation primitive du capital est développée par Marx, précisant qu’elle s’est faite en « suant le sang et la boue par tous les pores ». En fait, c’est un processus historique qui a conduit la bourgeoisie à accumuler du capital par la violence dans un cadre qui met en place les rapports de production capitaliste par l’exploitation du travail. Marx a étudié cette accumulation dans le pays le plus développé au XIXe, l’Angleterre. Ce qui a créé le salariat a été l’expropriation de très nombreux petits paysans et leur entassement dans les grandes villes pour y former une masse prête à travailler à n’importe quel prix, une armée de réserve. C’est grâce au découpage en propriétés privées des terrains communaux à usage collectif que cette expropriation a pu se faire. Les champs et les pâturages communaux se sont vus ainsi peu à peu clôturés pour un usage privé par les riches propriétaires de troupeaux de moutons, le commerce de la laine étant au XVe siècle en pleine extension. C’est la période de dite de "l’enclosure" dont les conséquences sociales sont décriées dès le XVIe siècle, notamment pat Thomas More.
Parallèlement, les contrats d’affermage deviennent de plus en plus déséquilibrés entre propriétaires et fermiers au bénéfice des premiers, ce qui va contribuer à augmenter l’exode rural. D’autre part, l’augmentation de la productivité agricole va enrichir les propriétaires terriens et diminuer leur besoin en main d’œuvre. À la fin du XVIIe, le parlement anglais ratifie les enclosures. En même temps, les lois qui condamnent le vagabondage poussent les plus pauvres à aller grossir les rangs de ceux qui cherchent du travail en ville. Devant une telle explosion de main d’œuvre, il est facile pour le législateur de fixer au plus bas les salaires. Quand ce plafond minimum est dépassé, c’est l’ouvrier qui encourt la prison ! Le rôle de la réforme permettra, au XVIe siècle, de spolier les biens de l’église catholique, de donner un fondement moral à l’émergence de classes choisies par Dieu et de pratiquer les taux d’intérêts sur les emprunts. Enfin, les colonies et l’esclavage vont permettre de dégager d’immense fortune qui pourront alors s’investir dans l’industrialisation de certains ports et de l’arrière-pays de ceux-ci. Marx identifie alors la centralité de l’esclave africain dans la génèse du capitalisme : « L’esclavage direct est le pivot de l’industrie bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc. Sans esclavage, vous n’avez pas de coton ; sans le coton, vous n’avez pas d’industrie moderne. C’est l’esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce de l’univers, c’est le commerce de l’univers qui est la condition de la grande industrie. Ainsi, l’esclavage est une catégorie économique de la plus haute importance. »[ii]. Ou encore : « La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore. »[iii]
Le processus d’accumulation primitive du Capital va connaître, quelque soit le pays, le même cheminement au cours des XV, XVI, XVII et XVIIIe siècles. Les sommes ainsi cumulées vont pouvoir être investies dans de nouvelles sources de profits qui promettent alors un rendement bien plus élevé encore : l’industrie.
Cependant, contre cette théorie de l’accumulation primitive du capital dans la violence, les économistes qui sont les défenseurs du libéralisme ont une autre analyse : l’essor du capitalisme est le résultat d’une levée plus ou moins rapide, selon les pays, des "obstacles" qui entravaient une "marche inéluctable" vers la "modernité de l’économie de marché".
Le capital
Cette richesse créée dans les conditions que nous venons de voir va être utilisée pour produire une richesse supplémentaire, dans le cadre de la propriété privée des moyens de production. Donc, « au lieu d’être une chose, le capital est un rapport social entre les personnes, lequel rapport s’établit par l’intermédiaire des choses. »[iv]

Le capital est donc un rapport social. Bien que la pensée économique classique voit trois sources de richesses, le travail, le capital foncier (terre agricole ou à bâtir, gisements miniers et d’hydrocarbures, réserves hydrauliques et autres ressources naturelles) et le capital technique qui englobe les biens et les machines productives, la réalité est autre. En effet, ni les ressources naturelles ou les machines, ni le travail ne sont du capital en soi. Ce dernier ne peut se définir que dans une organisation sociale déterminée, historiquement datée. La création de richesses comme une propriété physique de certains objets n’est qu’apparence : en effet, quel profit des machines et des matières premières peuvent-elles fournir sans le salariat qui amène les ouvriers à travailler sur ses machines lesdites matières premières ? Qu’apporte une mine d’or ou une terre fertile si des mineurs ou des ouvriers agricoles ne travaillent pas à l’extraction ou à la culture ? Ces biens, possédés par un capitaliste, lui rapportent parce que celui-ci bénéficie du cadre de la propriété privée et du travail exploité.
Prenons deux exemples pour clarifier le rapport social du capital : un gagnant du Loto s’achète un château pour y vivre dans le luxe. Sa fortune peut bien être supérieure à celle de nombreux petits-bourgeois, ce n’est pas un capital dans la mesure où il n’essaie pas d’en tirer profit.
L’autre exemple est celui d’un capitaliste qui serait projeté dans le futur en possession de ses moyens de productions. Ils seraient anachroniques et ne vaudraient plus rien (sauf en tant qu’antiquités…). Son capital n’a donc de sens qu’en rapport social dans une époque déterminée, la sienne.
À cette notion de capital, le sociologue Pierre Bourdieu a introduit deux autres types de capital : le capital social et le capital culturel. Le capital social, ce sont les relations familiales, professionnelles et amicales, le capital culturel ce sont le niveau de diplômes et la maîtrise de la culture légitime. Ces notions ont des points communs avec le concept de capital chez Marx : il s’agit de rapports sociaux qui peuvent expliquer certains phénomènes sociaux (par exemple, la reproduction des inégalités scolaires ou des inégalités sur le marché de l’emploi). Toutefois, ce ne sont pas à proprement parler des rapports sociaux de production : un diplôme, un bagage culturel, un réseau professionnel ne sont pas des moyens de production. On peut dire que dans ces notions introduites par Bourdieu, "capital" est employé métaphoriquement par rapport au concept de Marx (d’où l’utilisation des guillemets pour le distinguer de l’emploi littéral par Marx)[v].
Capital constant et capital variable
Maintenant que nous savons ce qu’est le capital (une richesse utilisée pour produire une richesse supplémentaire, dans le cadre de la propriété privée des moyens de production), nous allons différencier plusieurs composantes de ce capital.
Le capital constant est la partie du capital investie dans les moyens de production et les matières premières nécessaires à la production, c'est-à-dire dans tout ce qui est autre que la force de travail. Dans le capital constant, on peut distinguer deux composantes à l'impact différent sur la valeur de la marchandise produite :
· La première de ces composantes est le capital circulant, qui représente le capital qui transmet intégralement sa valeur (Cc) au produit final. Ce sont par exemple les matières premières, les biens intermédiaires, l'énergie nécessaire à l'utilisation des machines... Ceci parce que ces marchandises brutes sont intégralement utilisées et donc matériellement incorporées dans la marchandise finale.
· Le capital fixe quant à lui ne transmet qu'une partie de sa valeur au produit final. Si nous avions une valeur Cf initiale, la valeur de la marchandise produite comporterait une valeur cf < Cf. Ce sont typiquement les machines utilisées dans la production, ou encore les bâtiments abritant l'entreprise. Ceci pour une raison simple : la machine n'est pas "entièrement utilisée" sur un cycle de production. Elle a une usure progressive qui est répartie sur l'ensemble des cycles de production qu'elle pourra assurer. Exemple : si une machine a une durée de vie de 10 ans, on considérera qu'elle transmet seulement 10% de sa valeur chaque année : cf = (1/10) Cf
Le capital constant sert à définir :
· le capital par tête est le rapport du capital c investi dans les moyens de production et du nombre de salariés employés dans la production.
· la composition technique du capital est un ratio économique reflétant la machinisation du travail dans le capitalisme. Il est une des composantes de la composition organique du capital. Il intervient donc dans la loi de baisse tendancielle du taux de profit.
· la composition organique du capital est le rapport du capital constant et du capital variable. Il joue un rôle explicatif essentiel dans la loi de baisse tendancielle du taux de profit.
La machinisation (plus généralement l'emploi accru de moyens de productions) est un processus historiquement constaté, et théoriquement compréhensible : les capitalistes sont incités à utiliser les innovations qui permettent une productivité du travail supérieure et donc momentanément un avantage sur leurs concurrents. Néanmoins, le capital constant augmente moins rapidement en valeur qu'en importance matérielle, précisément parce que la productivité du travail fait aussi diminuer, en retour, la valeur des moyens de production : « la quantité de coton qu'un ouvrier fileur met journellement en œuvre dans une fabrique moderne est incomparablement plus considérable que celle que le fileur du siècle dernier travaillait au rouet, alors que la valeur du coton est loin d'avoir augmenté dans la même mesure. Il en est de même des machines et de tout le capital fixe.[vi] »
La définition du capital variable est plus simple : c’est la part du capital investie dans la masse salariale. Il est nommé capital variable parce que c'est lui qui permet une hausse du capital, par l'appropriation de la plus-value créé par les travailleurs.
Prochains posts :
· 2 - La valeur (la valeur d’usage, la valeur marchande), la marchandise et la force de travail.
· 3 - Plus-value, taux de profit, taux de plus-value
· 4 - Baisse tendancielle du taux de profit
· 5 - Actionnariat, bourse, bulle financière
· 6 - Dette et déficit publics
Deux portraits illustrent ce post : nous vous laissons deviner de qui il s'agit... Réponse sur le prochain post.
[i] Œuvre majeure de Karl Marx qui en a publié que le livre premier de son vivant en 1872. Les deux autres livres ont été publiés par Friedrich Engels sur la base des manuscrits et des brouillons de Marx.
[ii] La législation sanguinaire contre les expropriés à partir de la fin du XVe siècle, Le Capital, 1867
[iii] Génèse des fermiers capitalistes, Le Capital, op.cit.
[iv] Le Capital, livre I, chapitre XXXIII1, Le Capital, op.cit.
[v] Les Héritiers, Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Paris, Les Editions de Minuit, 1964 et La Distinction, critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu, Paris, Les Editions de Minuit, 1979, Langage et pouvoir symbolique, Pierre Bourdieu, Paris, Le Seuil, 2001. Attention, la lecture de Bourdieu est, disons, assez difficile…
[vi] Le Capital, Livre III, op.cit.
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