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Macron, la pensée complexe et le nouveau monde…

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    administrateur
  • 6 avr. 2018
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 avr. 2018

Voici donc un Président que ses thuriféraires[1] présentent comme un intellectuel à la pensée complexe qui va nous faire vivre la mutation du vieux monde vers le nouveau monde. Qu’en est-il donc de cette fameuse pensée complexe et de ce nouveau monde en opposition à l’ancien ?



D’abord, la pensée complexe : ce n’est pas une notion née avec Macron. En effet, c’est Henri Laborit qui va créer ce concept avec quelques intellectuels qui se réunissaient régulièrement dans les années 69 à 76 pour échanger leurs idées. Ce groupe est connu sous le patronyme de Groupe des dix (Henri Atlan, Jacques Attali, Jean-François Boissel, Robert Buron, Joël de Rosnay, Henri Laborit, André Leroi-Gourhan, Edgar Morin, René Passet, Michel Rocard, Jacques Robin, Jacques Sauvan, Jack Baillet, Alain Laurent et Michel Serres). Edgar Morin développera cette idée de pensée complexe qui se veut un enchevêtrement d’entrelacements de plusieurs domaines de la pensée dans la transdisciplinarité. Bon, ceci étant, nous voilà peu avancé sur l’acquisition de ce concept… Laissons donc Edgar Morin en donner une définition plus claire : « Le but de la recherche de méthode n’est pas de trouver un principe unitaire de toute connaissance, mais d’indiquer les émergences d’une pensée complexe, qui ne se réduit ni à la science, ni à la philosophie, mais qui permet leur intercommunication en opérant des boucles dialogiques[2] ».


Sans vouloir prétendre, comme un certain monsieur Jourdain[3] qui faisait de la prose sans le savoir, que cela nous le faisons régulièrement dans notre quotidien puisque complexe est issu du latin ‘’complexus’’ qui signifie ‘’ce qui est tissé ensemble’’. Nous sommes donc, en ce sens, des êtres complexes puisque nos comportements sont le fruit de ce que nous tissons ensemble. Vraiment, c’est une bonne nouvelle : nous voici érigé en penseurs complexes comme l’est Macron ! Ceci étant, lorsque ses laudateurs[4] parlent de pensée complexe, nous savons bien qu’il s’agit de distinguer le personnage qui se placerait ainsi au-dessus du velgum pecus[5]. La légende se construit donc pour faire de leur héros quelqu’un hors du commun. Pour cela deux fonctions sont érigées en principes fondateurs. D’abord sa supposé filiation avec Paul Ricœur dont il fut un temps proche (1999-2000) en l’aidant dans les recherches qui ont permis à celui-ci la rédaction de son dernier livre (La Mémoire, l’Histoire et l’Oubli[6]). Si on ne peut pas nier cette proximité, le Conseil scientifique du fonds Ricœur ne lui reconnait que le rôle d’assistant éditorial et, en aucun cas, ni une filiation prétendue, ni même une quelconque influence sur la pensée du philosophe. Le voici donc propulsé d’assistant éditorial à assistant de Ricœur à l’université. Or Macron n’a jamais enseigné et encore moins à l’université. Il affirmera au magazine Slate[7] que « C’est Ricœur qui m’a poussé à faire de la politique parce qu’il n’en avait pas fait ». Cette déclaration sous-tendrait qu’il s’agirait d’un conseil donné, ce qui semble peu compatible avec son 'maître'. Si ce dernier n’a pas fait de politique, il fut cependant militant associatif et syndical. Rappelons ici que Ricœur n’était pas un libéral : il ne ménageait pas ses critiques du capitalisme. Myriam Revault d’Allones[8] rappelle une mise en garde du philosophe en 1991, après la chute du mur de Berlin, contre l’impression que le marché pouvait devenir le modèle universel d’organisation de la vie humaine. Quant à construire un mythe, il faut impérativement compléter le cursus (pourtant suffisamment garni du président : khâgne à Henri IV[9], DEA[10] de philosophie à Paris-X puis ENA). Aussi, de son DEA, on lui prête d’avoir été thésard chez Balibar[11]. Pourtant, ce dernier n’a aucun souvenir du travail universitaire de cet étudiant qu’on présente si brillant… Le Monde soulignera que si Balibar « n’a aucune hostilité particulière à l’égard de l’homme politique, il trouve absolument obscène cette mise en scène de sa formation philosophique qu’il organise lui-même ou que son entourage organise ».


Macron et ses loyaux sujets mettront en évidence plusieurs sources de la formation de la pensée (complexe) philosophique du Président qui est, de toute évidence, solide. Mais que garde alors l’ex-ministre et conseiller de Hollande de cette formation ? Une solide rhétorique[12], une capacité de mémorisation remarquable et une facilité étonnante à citer. Mais n’est-ce pas là plus le résultat d’une formation finalement très inscrite dans les habitus[13] de la classe à laquelle il appartient plutôt que l’émergence d’une intelligence particulière et distinguable ? N’est-il pas le pur produit d’un système éducatif qui reproduit ses élites intellectuelles et politiques ? Certainement. Son intégration dans la banque Rothschild de 2008 à 2012 après son passage à l’inspection des finances lui permettra de côtoyer les milieux d’affaires en échange du carnet d’adresses que tout énarque passant à l’inspection des finances se constitue. Dans cette banque, il conduira deux affaires qui marqueront : le rachat par le Crédit Mutuel de Cofidis[14] et l’acquisition de la branche lait maternel du groupe Pfizer par Nestlé[15].


Les développements de la pensée complexe de Macron trouvent aujourd’hui leur aboutissement dans la reprise du discours de la finance internationale, dans les discours creux sur les vertus du libéralisme économique (les premiers de cordée et le ruissellement) et sur la mise en place d’une politique que Margaret Thatcher ne renierait pas. Au demeurant, ne reconnait-il pas la chance que l’Angleterre a eu d’avoir cette dernière comme dirigeante ? L’enrobage de cette politique libérale se fait sur des éléments de langage qui ne sont pas anodins. Ainsi, Macron parle du vieux monde contre le nouveau. Le vieux monde serait celui d’une France sclérosée, arc-boutée sur un modèle social obsolète et sur le refus de la modernité. Aussi, parle-t-on des fameux premiers de cordée, annoncés déjà lors de la campagne dans une adresse aux comités locaux : « il faut un truc darwinien… les mauvais mourront de la confrontation avec les autres, on verra ce qu’il en ressort »[16]. Cette modernité proclamée « contre ceux qui ne sont rien » où l'on remplace le verbe avoir (ceux qui n’ont rien) par le verbe être, impliquant que c’est leur identité profonde que de n’être rien... Et non pas en raison d’un système économique d’exclusion des plus pauvres, de précarisation et de discrimination. Ce positionnement n’est pas que grammatical, il est le reflet d’une supériorité intellectuelle et du mépris de classe par-là même revendiqués ainsi que d’une vision profondément inégalitaire de la société. C’est donc le nouveau monde version Macron. Que ce nouveau monde ressemble donc à l’ancien régime ! Une modernité qui retourne plus de deux siècles en arrière. Un nouveau monde qui est l’image du langage de celui qui prétend être la modernité. L’emploi de termes aussi inusités, surannés et désuets que « poudre de perlimpinpin », « croquignolesque[17] », « ficher son billet », « par votre truchement », « in petto[18] », « galimatias[19] », « chicaya[20] » montre que Macron n’est pas si jeune qu’il veut le paraître. Son discours reste emprunt de locutions qui marquent son appartenance à cette vieille bourgeoisie provinciale dont nous parlions plus haut. Qu’à cela ne tienne, direz-vous, il est tout aussi capable d’avoir un discours plus jeune. Et là, en avant les anglicismes (empruntés au monde des managers, des DRH[21], comme start-up, process, helpers[22]…) et en avant les éléments de langage modifiés. Ainsi, les perquisitions deviennent des « visites domiciliaires », le compte pénibilité devient « compte de prévention », la destruction du Code du Travail devient « la libéralisation du travail, une souplesse retrouvée, une protection renouvelée », les licenciements deviennent « des facilités afin de créer des embauches ( ! ) », les hôpitaux ferment afin « d’améliorer les soins », la sélection à l’université devient « une place pour chaque élève », l’augmentation de la CSG pour les retraités « une solidarité intergénérationnelle », la privatisation de la SNCF se mute en « amélioration du service », etc. En fait, cette trituration[23] devient un discours politique pour faire passer des mesures uniquement néolibérales sous un vernis moderne. Et cela va parfois très loin puisque dorénavant, toutes les interviews accordées par les ministres de Macron font l’objet d’un travail de réécriture par les services de Matignon, à tel point que le journal Les Echos refuse de publier celle de la ministre des transports , Elisabeth Borne, tant elle divergera de l’interview initiale.


Et puis le marqueur idéologique de classe n’est jamais loin. Aussi, Macron n’hésite-t-il pas à parsemer ses discours de mots qui leur donnent un aspect de réflexion profonde, d’immense culture. Quitte à aller vers des phrases sans sens, incompréhensibles. À Davos, fin janvier de cette année, il laisse interrogatifs ses auditeurs lorsqu’il déclare : « Si on ne pense pas le cadre des changements technologiques, Schumpeter[24] va très rapidement devenir Darwin[25] ». Si quelqu’un comprend, qu’il n’hésite pas à le faire savoir… En octobre 2017, à la foire du livre de Francfort, il évoquera les noms d’une multitude philosophes et d’écrivains, de Nietzsche à Goethe, comme une liste qu’il faut impérativement décliner. Et de déclarer qu’adolescent, "[il a] compris un peu mieux Baudelaire grâce à un philosophe allemand". Interdit de rire sur cette sortie ! Et, à chaque fois qu’il en a l’occasion, c’est-à-dire dans ses discours et ses interventions télévisées, il glissera toujours, pour montrer son élitisme lexical et la valeur de sa parole (donc de son pouvoir), des termes comme :

· Barycentre (centre de gravité)

· Fongicibilité : se dit de choses qui se consomment par l’usage et qui peuvent être remplacées par des choses de même nature

· Linéament : élément linéaire subrectiligne (proche de la ligne droite), généralement repérable sur des cartes topographiques à petite échelle

· Totipotent : cellules embryonnaires non encore différenciées

· Irrédentisme : mouvement de revendication Italien sur les terres restées à l’Autriche-Hongrie après 1870

· Aggiornamento : adaptation au progrès, mise à jour, modernisation

· Illibéralisme : culture politique qui disqualifie le principe de la vision libérale, où les contre-pouvoirs sont écrasés

· Irénisme : Attitude de compréhension dans la discussion des problèmes théologiques entre chrétiens de confessions différentes. Par extension, attitude de compréhension dans la discussion des problèmes qui peuvent être autres que théologiques

· Ipséité : ce qui fait qu’un être est lui-même et non pas autre chose, qu’il est une personne unique

· Disruption : l’adjectif caractérisait les traumatismes liés à une catastrophe naturelle, tremblement de terre ou tsunami… il est repris dans le monde du business pour qualifier une innovation qui place son inventeur dans une situation de monopole quasi absolu du marché qu'il vient de créer - ce qui lui permet de rafler la mise, sans crainte de concurrent ou bien d’une rupture, d’un bouleversement dans le domaine économique

· Palimpseste : manuscrit constitué d'un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau.

Il n’hésite pas non plus, ça fait toujours son effet, de distiller quelques citations latines :

· Diminutio capitis : mort civile ou privation des droits de cité, de famille ou de liberté

· Pacta sund servanda : les conventions doivent être respectées


Nous avons eu des Présidents à tentations littéraires, De Gaule, Pompidou et Mitterrand ; un Président à prétention littéraire, Giscard ; un Président qui feignait le bon peuple et qui cachait sa culture, Chirac ; un Président inculte, Sarkozy. Nous avons maintenant un Président prétentieux qui se targue d’idées nouvelles mais qui sentent trop le déjà vu : contre la grande majorité du Peuple, pour la défense des intérêts de la classe supérieure des possédants.


Décidément, rien de nouveau sous le soleil !

Vous aurez compris l'ironie que nous avons mis à utiliser parfois un vocable dans le seul but de nous moquer... de ceux qui parlent pour faire du vent !


[1] Celui qui porte l’encensoir dans les cérémonies liturgiques. Par extension, personnage flatteur, flagorneur…

[2] En forme de dialogue

[3] Le Bourgeois Gentilhomme, Molière

[4] Voir thuriféraire…

[5] Commun des mortels

[6] Le Seuil, 2000. Les travaux de Ricœur ont porté sur l’herméneutique (fondement de l’interprétation en général et interprétation des textes proprement philosophiques) et la phénoménologie (se concentre sur l'étude des phénomènes, de l’expérience vécue et des contenus de conscience). D’autre part, il s’est intéressé à l’heuristique (ce qui est propice à la découverte) ainsi qu’à l’existentialisme chrétien (sa propre responsabilité face à Dieu en dehors de ce qu’impose les structures). Ces réflexions le conduiront à se poser la question des institutions justes permise par l’idée d’égalité.

[7] La version française a été créée par Jacques Attali, Jean-Marie Colombani et Alain Minc et est financée par Benjamin de Rothschild. Ce magazine publiera 46 articles favorables à Macron en avril 2017

[8] Membre du Fonds Paul Ricœur

[9] Classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE)

[10] Diplôme d’Études Approfondies, préparant souvent un doctorat

[11] Étienne Balibar, philosophe marxiste et est professeur émérite de l’université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense, professeur affilié au département d'anthropologie à l'université de Californie à Irvine, aux États-Unis, visiting professor à l'Institut de littérature et société comparée de l'université Columbia et professeur « Anniversary Chair » au Centre for Research in Modern European Philosophy (CRMEP) à l'université Kingston de Londres.

[12] Art de l’action du discours sur les esprits

[13] Système de dispositions qui permet à un individu de se reconnaître dans une classe sociale

[14] Société de crédit révolving qui a précipité nombre de ses clients dans le surendettement par ses taux prohibitifs frôlant parfois les 20%

[15] Qui a construit son développement en Afrique sur la substitution du lait maternel par le lait en poudre qui conduira, selon l’OMS, à la mort de plusieurs milliers de nourrissons faute d’accès à l’eau potable…

[16] Selon Les Échos

[17] Amusant, un peu ridicule

[18] À part soi. En religion, ce qui est arrêté secrètement, sans être rendu public

[19] Discours inintelligible

[20] Vient de l’arabe shaka, querelle

[21] Directeur-trice des Ressources Humaines

[22] Assistant.e.s, ici dans le sens de petites mains

[23] Action de broyer et de diluer un principe actif

[24] Économiste américain d’origine autrichienne (1883-1950), théoricien des fluctuations économiques, des destructions créatrices et l’innovation. Il estime que le capitalisme est appelé à disparaître pour des raisons sociales et politiques.

[25] Est-ce bien utile de présenter Darwin, théoricien de l’évolution des espèces ?

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