UNE FRANCE INDÉPENDANTE AU SERVICE DE LA PAIX
- administrateur
- 1 mars 2018
- 18 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par France Paul, haute-fonctionnaire, Djordje Kuzmanovic, analyste géopolitique, ancien officier de l’armée française et Théophile Malo, chargé des relations internationales dans une administration publique.
Notre constat : une diplomatie déconnectée des transformations du monde
Les bifurcations du système international déjà pointées en 2012 par Jean-Luc Mélenchon s’amplifient. L’hégémonie des États-Unis sur la mondialisation néolibérale laisse place à une mondialisation multipolaire. Celle-ci ne nous protège pas de la guerre. On assiste au contraire à un regain de tensions inter étatiques.
La première menace globale est la tentation permanente des États-Unis de compenser cette perte de leur hégémonie par leur prééminence militaire. En 2016, ils cumulaient officiellement plus de 700 bases dans le monde et 620 milliards de dollars de dépenses militaires, soit près de 95 % du total des bases militaires détenues par des pays à l’étranger, et 40 % des dépenses mondiales et plus du double des dépenses militaires cumulées de la Chine et de la Russie. Le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, prévoit d’accroître encore davantage cette fuite en avant militariste en augmentant de 54 milliards de dollars ce budget déjà pléthorique.
L’environnement stratégique de la France est également bouleversé par la crise écologique. L’effondrement de la biodiversité, la raréfaction des ressources et le changement climatique vont multiplier les sources de tensions. Sans transformation des modes de production, d’échange et de négociation, les conflits pour l’accès à l’eau, l’alimentation et l’énergie iront croissant, en particulier dans un contexte géopolitique où les pays les moins avancés (PMA) subissent en premiers ces conflits, comme ceux liés aux déplacements forcés de populations : l’ONU dénombrait en 2015 18,9 millions de personnes déplacées à cause de phénomènes climatiques extrêmes, et en annonce 250 millions d’ici 2050.
Ces bifurcations interviennent après des décennies de libéralisation sauvage et de financiarisation avancée des économies, qui ont exacerbé les tensions entre les nations et à l’intérieur d’elles-mêmes. À l’intérieur, cela se traduit par la montée des tensions xénophobes. En atteste la persistance de l’absurde rhétorique du choc des civilisations portée par les identitaires occidentaux et les terroristes se réclamant de l’Islam.
Inaptes à saisir le sens de l’Histoire, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont enfermé notre action internationale dans leurs schémas occidentaliste et atlantiste. Le premier a réintégré la France dans le commandement intégré de l’Otan. Le quinquennat du second a été marqué par l’approbation par François Hollande du projet états-unien de « bouclier » anti-missile dirigé contre la Russie, aussi coûteux qu’inutile. Il a même légiféré pour rendre possible le retour des troupes de l’Otan sur le sol français, 50 ans après que le général de Gaulle les en eut chassées.
Ces dirigeants sont depuis trop longtemps les sous-traitants d’intérêts contraires à ceux de la République et des Français·es, comme le montre leur suivisme sur la crise ukrainienne, la question israélo-palestinienne, ou leur alignement en Syrie sur les États-Unis et pétromonarchies du Golfe. La voix de la France a été réduite à un entremêlement d’indignations sélectives, d’affairisme et d’interventions militaires sans stratégie globale.
Enfin, l’austérité budgétaire n’a pas épargné notre outil de Défense. La multiplication des guerres est allée de pair avec la réduction des moyens réels alloués aux armées, épuisées par cette contradiction. Le pouvoir navigue à vue dans un domaine où l’absence de vision stratégique et de planification des moyens a des conséquences graves.
Notre projet : une géopolitique non alignée au service de la paix
La mondialisation multipolaire ne doit pas être synonyme de guerre de tous contre tous. À condition de reparler de sa propre voix, la France peut contribuer de manière décisive à la mise en place des conditions de la paix.
Face à Donald Trump qui cherche à obtenir encore plus de concessions de la part des Européens et à leur faire augmenter leur budget militaire au service de l’Atlantisme, la plupart des candidats à l’élection présidentielle sont incapables de proposer une stratégie cohérente. Ils se révèlent même plus atlantistes que l’administration états-unienne elle-même. Nous affirmons au contraire que l’heure est plus que jamais à la sortie de l’Otan. « L’Europe de la défense » n’a quant à elle jamais été pensée en dehors de l’Alliance atlantique. Elle n’est pas une solution mais une servitude de plus. Elle prépare la guerre contre des ennemis qui n’en sont pas. La défense s’applique à un territoire et à un peuple soumis à une loi commune dont il décide librement. Elle n’a de sens qu’en lien avec une vision géopolitique cohérente. L’Union européenne ne réunit aucun de ces prérequis. Première puissance militaire du continent, notre pays n’a en outre aucun intérêt à mettre ses forces armées au service de ceux qui poussent à l’affrontement avec la Russie, d’autant plus s’il s’agit de se lancer dans des alliances incertaines voire partager la dissuasion nucléaire avec des va-t-en-guerre.
La France doit se porter aux avant-postes d’une nouvelle alliance universelle pour la paix. Le nouvel indépendantisme que nous proposons commence par les mots. Notre République ne doit plus être définie comme « occidentale ». Sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est par principe universelle, donc internationaliste.
Nous proposons de redéployer l’action internationale de la France dans trois directions principales : l’espace méditerranéen, les pays de la francophonie et les puissances (ré)émergentes, notamment les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le poids de la France à l’ONU, seule instance légitime à œuvrer à la sécurité collective, doit servir cette nouvelle action internationale. Seul un monde où la loi précède l’ordre, où l’on étend collectivement le champ du droit, peut être un monde où la paix progresse.
La Ve République a fait des questions internationales et de défense le domaine réservé du Président. La 6e République les mettra au cœur de la Révolution citoyenne et replacera la démocratie au centre des décisions géopolitiques.
La suspension de la conscription participe de l’effondrement de la souveraineté populaire en aggravant la confiscation des politiques de défense et distend dangereusement le lien entre les forces armées et la nation. Il est pourtant fondamental en République que le peuple s’approprie les forces armées. C’est une garantie qu’elles ne puissent être utilisées un jour contre lui.
Les moyens de notre outil de Défense devront être précisés en partant du cadre stratégique alternatif que nous proposons. La seule préoccupation devant guider les choix concernant les moyens des armées est l’indépendance militaire de la France. Face aux logiques de privatisations rampantes à l’œuvre depuis des années, nous entendons également réaffirmer le caractère strictement étatique de l’appareil de Défense.
Nos propositions : une politique souveraine et altermondialiste
1- Sortir de l’Otan et arrêter l’Europe de la Défense
Pour promouvoir la paix et la coopération à l’échelle mondiale, affirmer notre indépendance est une nécessité absolue. Nous affirmons donc la nécessité de :
· Sortir de l’Otan : l’Otan aurait dû être dissoute à la fin de la guerre froide. Elle n’a cessé depuis de s’étendre, provoquant guerres et tensions dans le monde entier. Elle a été au cœur de la « guerre globale contre le terrorisme » ayant débuté par les désastreuses interventions en Afghanistan et en Irak. Le retour dans son commandement intégré en 2008 a réduit notre indépendance militaire et diplomatique. Pour recouvrer cette indépendance, nous proposons :
- le retrait immédiat de la France du commandement intégré de l’Otan puis, par étapes, de l’organisation elle-même
- le refus de toute inscription de notre pays dans une alliance militaire permanente.
· Retirer la France de l’Europe de la défense : le 6 mars dernier a été décidée, sans aucune consultation des peuples, la création d’un quartier général militaire de l’Union européenne. Désorientés par Donald Trump, les dirigeants européens relancent le mythe de l’Europe de la défense. Mais celle-ci n’a jamais été pensée comme une alternative à l’Alliance atlantique. En témoigne la reprise à l’unisson de l’objectif abstrait de consacrer 2 % du PIB à la défense, qui est avant tout une exigence de l’Otan, formulée en parfaite continuité tant par l’administration Obama que par l’administration Trump. Face à ces injonctions, nous optons pour la cohérence stratégique avec :
- le retrait de la France de ce quartier général
- le fait de limiter, en Europe, nos coopérations stratégiques aux pays ayant des centres et des aires d’intérêt commun, en particulier au service de la paix dans le bassin méditerranéen et en Europe, et/ou aux projets augmentant notre autonomie stratégique, comme le programme Galileo de radionavigation par satellite
2- Engager une diplomatie internationaliste
L’indépendance nationale est le contraire de l’isolement. En portant une vision influencée par la rhétorique du « choc des civilisations », ce sont les dogmes actuels qui ont rabougri l’action internationale de la France. La transformation de l’ordre des puissances, l’histoire et la géographie de la France commandent de redéployer les ressources de son réseau diplomatique, troisième mondial, dans quatre directions principales :
· L’espace méditerranéen, interpénétré avec la France, constitue une zone prioritaire d’action internationale. Il est insupportable que la Méditerranée soit réduite à un cimetière de migrants. La France doit contribuer à son union autour d’objectifs communs de progrès. Plutôt que de reproduire des organisations paralysées par les clivages entre certains États méditerranéens, nous proposons la réalisation de projets concrets tels que :
- la mise en place d’une structure commune de lutte contre les pollutions et de gestion de l’écosystème de la mer Méditerranée
- la création d’une chaîne de télévision méditerranéenne émettant en plusieurs langues
- la création d’un organisme méditerranéen de sécurité civile
- l’organisation d’un réseau d’universités méditerranéennes.
· Nous devons porter une vision politique de la francophonie (cf. le livret thématique « Passer à la francophonie politique » dans la même collection). Dans ce cadre, notre politique africaine doit être révisée. Notre relation avec l’Afrique, qui fera face dans les prochaines décennies aux défis immenses liés au dérèglement climatique et à sa croissance démographique, est prisonnière des considérations affairistes et militaristes
· Nous mettrons fin à la « Françafrique » grâce à plusieurs mesures :
- la promotion d’un nouveau modèle de développement visant entre autres à l’autosuffisance alimentaire
- le fait de favoriser les conditions politiques et économiques permettant de réduire les flux migratoires qui privent l’Afrique de sa jeunesse et de main-d’œuvre qualifiée (cf. le livret thématique Migrations dans la même collection)
- la fin du soutien à des dictatures prédatrices
- la révision de nos accords militaires avec les pays africains
- le fait de rendre aux pays de la zone CFA leur souveraineté monétaire.
· Nous aurons la solidarité internationale et le développement durable comme priorités pour réaliser notre diplomatie altermondialiste. Pour suivre ces principes, nous mettrons en place les mesures suivantes :
- le respect des promesses faites par d’autres – mais que nous tiendrons –, de consacrer 0,7 % du revenu national brut (RNB) à l’Aide publique au développement (APD) au plus vite (elle n’est actuellement que de 0,37 % du RNB)
- l’allocation de 50 % de l’APD aux pays les moins avancés (PMA), contre 25% aujourd’hui
- l’absence de conditionnalité à la régulation des flux migratoires ou de sécurité au déploiement de l’APD. Celle-ci doit être en priorité destinée à la réduction de la pauvreté, des inégalités, à l’accès à la santé et l’éducation et à l’égalité entre les femmes et les hommes
- la priorisation de l’APD sous forme de dons et d’aides techniques plutôt que de prêts, qui sont les instruments actuels principaux de l’aide bilatérale
- le renforcement du partenariat entre l’État et les ONG afin que ces dernières participent plus activement à la prise de décision des allocations des APD
- la transparence des allocations des APD en les rendant publiques selon les normes de l’Initiative internationale pour la transparence de l’aide (IITA)
- la sortie du FMI (Fonds monétaire international), de la Banque mondiale et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), en les remplaçant par un Fond d’urgence sociale et une Banque solidaire d’investissement et en renforçant la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement)
- la dénonciation des Accords de partenariat économique (APE) avec les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) destructeurs de leurs économies et de leur agriculture
- l’action pour le désendettement des pays pauvres et très endettés, d’une part, par la restructuration des dettes au sein du Club de Paris dans le cadre des principes de la résolution 68/304 de l’AGNU (Assemblée générale des Nations unies), et, d’autre part, par la promotion d'un mécanisme de restructuration des dettes souveraines dans le cadre de l’ONU sur la base de la résolution votée en 2015 à l’initiative de l’Argentine
- l’adoption d’une politique protectionniste solidaire permettant une coopération économique internationale basée sur le codéveloppement
- la lutte, avec fermeté, contre les paradis fiscaux et l’instauration d’une taxe sur les transactions financières.
· La France dispose de frontières sur les cinq continents : elle a vocation à renforcer ses coopérations avec les puissances (ré)émergentes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Il faut former avec les BRICS les bases d’une alliance altermondialiste, ouverte à tous et fondée sur l’indépendance de chacun, la coopération et le renforcement de l’ordre international légitime de l’ONU. Pour cela, nous proposons :
- l’adhésion de la France à la Banque internationale de développement des BRICS, créée en 2014 comme alternative à la BM (Banque mondiale) et au FMI. Ce sera le premier acte de ce rapprochement. À court terme, cette adhésion permettra aux entités commerciales françaises de s’abstraire de la législation états-unienne extraterritoriale touchant toute transaction en dollar états-unien. À moyen terme, elle renforcera la proposition chinoise de créer une monnaie commune mondiale comme alternative à la domination du dollar.
Le redéploiement de notre action internationale ne se basera donc pas sur des valeurs floues ou des convergences d’intérêts oligarchiques, mais sur des propositions renforçant la paix et la solidarité internationale. L’espace privilégié pour les mettre en partage est l’ONU.
3- Renforcer et réinvestir l’ONU
Quelles que soient ses imperfections, l’ONU est la seule organisation universelle reconnaissant l’égalité entre les États et entre les peuples. Elle est donc la seule instance légitime à œuvrer à la sécurité collective et à produire un droit global. Face à l’aggravation des tensions internationales, les motifs de conflictualités de tous types doivent y être mis en discussion et réglés avant de dégénérer en guerres. À rebours de l’enfermement dans la diplomatie de clubs oligarchiques, symbolisée par le poids des G8, G20, OCDE, OMC, BM…, la France doit peser pour le retour en force de l’ONU.

Comments