QUARTIERS POPULAIRES, QUARTIERS SOLIDAIRES
- administrateur
- 2 mars 2018
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Sophie Charrier, infirmière à Vaulx-en-Velin et Pascal Troadec, responsable associatif et élu à Grigny.
Notre constat : les oublié.e.s de la république
Les politiques successives de relégation économique, sociale et politique ont produit d’incroyables dégâts. Au sein des quartiers populaires, les conditions de vie ne cessent de se dégrader :
· l’échec scolaire y touche deux à quatre fois plus d’enfants
· l’orientation vers les cursus courts et notamment en direction de l’enseignement professionnel y est majoritaire (60 %), alors qu’elle est, ailleurs, de 40 % en moyenne
· le taux de chômage y atteint fréquemment 20 à 25 % (contre 10 % à l’échelle nationale) culminant à 40, voire 45 % chez les jeunes de 18 à 25 ans
· le taux d’allocataires de la CMU y atteint jusqu’à 80 % des visites auprès de médecins en nombre insuffisant, limitant la prévention des risques notamment en matière ophtalmologique ou bucco-dentaire, et instituant une véritable médecine d’urgence
· les moyens de transport collectifs sous-dimensionnés renforcent la ségrégation urbaine
· la diversité de logement y est très faible, conduisant des générations familiales à se succéder au sein des mêmes habitats
· les services publics sont éloignés (bureaux de poste, hôpitaux, structures d'insertion, commissariats, etc.) tout comme les commerces de proximité
· certains logements sont délabrés et les installations urbaines indignes
Et ce n’est qu’un aperçu de la longue liste des reculs de la République, qui délaisse ainsi des pans entiers de sa population.
De surcroît, les injustices criantes n’ont pas épargné le champ des droits civiques et politiques. Les discriminations fondées sur la couleur de peau, l’origine ethnique ou la religion touchent tout particulièrement ces quartiers de grande diversité. Les discriminations à l’embauche, en raison d’une adresse ou d’une supposée origine, sont innombrables. Les tensions que provoque une telle situation sont tout particulièrement perceptibles dans la relation des habitants avec les forces de l’ordre. Mais ces discriminations peuvent aussi conduire au repli sur une communauté qui inclut et respecte celles et ceux qui ne sont nulle part ailleurs protégé·e·s, communauté qui peut être celle du quartier, des amis, du pays d’origine ou de la religion partagée.
De manière plus tranchée, elles peuvent conduire à la marginalisation ou à la frustration, voire aux différentes formes de mise à l’écart de la société. Car c’est bien en réaction à des institutions se satisfaisant d’une intervention publique de saupoudrage visant à éteindre les revendications et à acheter la paix sociale que certains habitants sont conduits à rejeter la République.
La distension des liens entre institutions et habitants caractérise donc la relation à ces quartiers. Alors que le rôle de l’État, et pas seulement celui d’urgence ou de sécurité publique, y est pourtant essentiel.
La confiscation du pouvoir par l’oligarchie a fini par faire perdre au peuple l’intérêt pour la politique, telle qu’elle se présente à lui la plupart du temps. Le peuple ne comprend plus le langage de la politique dominante. Les mots « socialiste » ou « gauche » sont par exemple lourdement dévalués, voire discrédités chez ceux qu’ils sont censés défendre. Le grand nombre n’établit plus aucune relation concrète entre le discours politique dominant et ses conditions d’existence. Dès lors, sa conscience tourne en partie à vide, sans relais visible à la télévision pour mener une politique du peuple. C’est dans ces conditions que la colère populaire peut parfois se tromper de chemin. Elle le fait sous la forme d’une insurrection froide dans l’abstention, qui progresse de manière continue à toutes les élections législatives depuis 1981. Et elle explose chez les ouvriers et dans les quartiers populaires. Désorientée et désemparée, la majorité de la population devient ainsi invisible dans les scrutins.
Certains de ces territoires sont les symptômes les plus avancés de la décomposition de la société capitaliste et de ses institutions. Les médias les présentent comme des marges peuplées de voyous ou d’incultes. Or, ces territoires et leurs habitants ne sont pas à la marge. Ils sont les premières victimes du système. Et en eux se trouve donc aussi le point de départ de la subversion. Le libéralisme entretient dans ces lieux oubliés un véritable apartheid social et culturel. C’est là que se concentre une bonne partie populaire de la population : ouvrier·ère·s, employé·e·s, femmes et jeunes précaires ou sans activité, chômeur·se·s, retraité·e·s aux faibles revenus. Mais cette France métissée des cités ne correspond pas au désert politique et culturel stigmatisé par les puissants. Cette France du peuple est riche d’histoire et de luttes, de créativité et de solidarité. Notre responsabilité est d’aider le grand nombre qui y vit. Pour retrouver une fierté collective et une dignité dans le partage. Et pour éviter que la colère qui gronde ne se trompe de chemin en se perdant dans des solutions ethniques qui confortent l’ordre établi.
Notre projet : vivre bien dans les quartiers populaires
Il est urgent d’affirmer ce que sont en réalité les quartiers populaires et leurs habitants : une chance pour notre pays.
Une chance démographique car ces territoires sont jeunes et dynamiques ; une chance culturelle et artistique puisque ces quartiers fourmillent de lieux de créations musicale, chorégraphique, en arts plastiques ou en littérature ; une chance économique, car, malgré les coûts terribles du chômage, ici s’inventent chaque jour de nouveaux modèles d’économie sociale et solidaire, le tissu associatif y crée des liens et fabrique de l’émancipation ; une chance citoyenne enfin, puisque ces endroits constituent le terreau de la lutte contre les discriminations, pour une société plus juste et solidaire à l’heure où tant d’autres renoncent et se replient sur des illusions sécuritaires et identitaires.
Alors, au contraire de ces gouvernants qui n’ont eu de cesse de traiter les quartiers populaires comme un problème à gérer à moindre coût, nous proposons une réponse globale, concertée et coordonnée aux difficultés qui minent la vie de ces quartiers, et des moyens financiers investis à réelle hauteur des besoins avec une obligation d’évaluation et de résultat pour chaque dispositif.
Tous et toutes, dans les quartiers populaires, nous voulons bien vivre : avoir un emploi et des revenus stables, des services publics de qualité, l’accès aux soins, une bonne retraite, l’égalité des droits, la même justice pour tou·te·s, un environnement sain, un habitat et un cadre de vie agréables. La société française ne souffre pas du manque d’autorité mais du manque d’égalité.
C’est dans ce cadre que nous analysons la colère qui déborde périodiquement de la France des cités en colère, comme l’ont montré les révoltes de 2005 ou les réactions aux nombreuses bavures policières. Pour vivre en paix, la France des banlieues a besoin de retrouver la dignité et le respect dans le regard que lui porte l’ensemble de la société, et au premier chef, les institutions publiques. Pour cela, il faudrait commencer par cesser de demander à certains habitants plutôt qu’à d’autres de justifier de leur intégration. Pour devenir des citoyen·e·s libres, les personnes ont besoin qu’on les laisse tranquilles avec leurs origines qui relèvent de leur sphère privée. Reconstruire durablement le respect et la dignité suppose de « faire France de tout bois ».
Nos propositions : Liberté, Egalité, Fraternité pour tout le monde
1- Éduquer et former tout le monde
L’éducation est l’affaire de tous. Elle concerne donc les parents, les institutions locales, les associations, les partenaires de tous ordres, et bien sûr, les enseignant·e·s. Dans les quartiers, nous devons affirmer que l'échec scolaire n'est pas une fatalité. Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons de :
· Réduire massivement les effectifs par classe dans les établissements de l’éducation prioritaire : 20 élèves maximum en maternelle, primaire, collège, lycée professionnel et technologique, 25 en lycée général ; deux enseignant·e·s par classe en maternelle et primaire
· Renforcer le recrutement des personnels de l’Éducation nationale dans les quartiers comme ailleurs.
Nous prévoyons ainsi de :
- recruter au moins 60 000 enseignant·e·s
- rétablir un véritable corps d’enseignant·e·s remplaçant·e·s
- renforcer le dispositif « plus de maîtres que de classes », prioritairement en CP et CE1, en y affectant 5 000 enseignant·e·s
- renforcer les équipes d’assistant·e·s d’éducation (AED), en particulier dans les établissements d’éducation prioritaire (REP)
- reconstituer les Rased (Réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) pour atteindre 15 000 postes.
· Mettre en œuvre un plan d’urgence pour la rénovation des établissements scolaires
· Réunir annuellement, dans chaque collectivité, l’ensemble de la communauté éducative afin de coordonner les énergies des différents acteurs et actrices
· Créer une carte nationale de l’élève en formation permettant l’accès gratuit à la santé ainsi qu’à des activités sportives et culturelles
· Miser sur « l'innovation pédagogique » avec des temps spécifiques accordés aux enseignant·e·s
· Renforcer les moyens de l’éducation populaire et orienter les établissements culturels et sportifs vers la prise en compte de ces missions éducatives.
Des compléments sont présentés dans le livret thématique sur l’éducation dans la même collection.
Nous croyons en un enseignement professionnel de qualité, doté, là aussi, de moyens augmentés, transmis par des enseignant·e·s que l’on ne désespère pas en dévalorisant leurs filières. Nous proposons de :
· Rétablir et développer le réseau des centres d’insertion et d’orientation (CIO)
· Créer une filière polytechnique :
- rétablir le bac pro en 4 ans afin de garantir la transmission des savoirs nécessaires à l’élévation du niveau de qualification et à la maîtrise professionnelle
- refonder la voie technologique permettant d’offrir une palette diversifiée de spécialisations de haut niveau
- bonifier les bacheliers professionnels et technologiques afin de favoriser les poursuites d’études en BTS (Brevet technique supérieur), DUT (Diplôme universitaire de technologie) et licences professionnelles.
· Développer l’enseignement professionnel et technologique public :
- construire des lycées professionnels dotés d’équipements de qualité afin d’augmenter les capacités d’accueil, de garantir un maillage fin de lycées polytechniques sur l’ensemble du territoire et de véritables choix d’orientation aux élèves
- supprimer les aides à l’apprentissage de manière à développer la formation professionnelle sous statut scolaire.
· Développer les filières agricoles, maritimes et environnementales propres à former et pourvoir aux centaines de milliers d’emplois créés par le retour à une production écologiquement responsable.
Le droit à la formation qualifiante doit être partie prenante de la vie professionnelle.
Dans les quartiers populaires, la barrière linguistique constituant parfois un obstacle à la qualification, nous proposons que les conseiller·ère·s de formation professionnelle fassent de la linguistique à visée professionnelle un axe majeur de leur action. Il s’agira aussi de développer la formation, notamment dans les domaines culturels et artistiques, en facilitant leur accès tout au long de la vie
2- En finir avec le chômage généralisé
En matière d’emploi, nous ne tolérons pas le taux de chômage qui culmine dans les quartiers populaires. Au-delà du caractère légitime à bénéficier de la solidarité nationale au même titre que l’on y participe, nous refusons une citoyenneté de seconde zone, au prétexte qu’on n’a pas d’emploi. Là encore, nous proposons de sortir de la seule sphère marchande. Nous proposons de :
· Reconnaître professionnellement la richesse associative
· Instaurer le service citoyen obligatoire ouvert à toutes et tous. Là aussi, nombreuses sont les tâches d’intérêt collectif, tout particulièrement en matière environnementale et sociale. Ce service citoyen sera rémunéré au smic
· Créer une bourse publique des stages afin de lutter contre les discriminations et favoriser l’insertion professionnelle des diplômé·e·s
Des compléments sont présentés dans le livret thématique sur l’emploi dans la même collection.
Enfin, n’oublions pas la discrimination à l’emploi dont souffrent nombre d'habitant·e·s des quartiers populaires. Afin de faciliter la recherche d’emploi, de sécuriser les employeurs de bonne foi et de réprimer ceux qui usent de cette discrimination, nous proposons de :
· Populariser le CV anonyme, notamment dans les démarches numériques de Pôle emploi
· Multiplier les échanges jeunes-entrepreneurs en liaison avec les Missions locales
· Augmenter les contrôles dans les entreprises concernant l’utilisation de stagiaires non rémunéré·e·s ou des salarié·e·s en contrats aidés
· Organiser dès l’école primaire l’intervention d’acteurs associatifs pour éduquer à la lutte contre toutes les discriminations

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