PRODUIRE EN FRANCE
- administrateur
- 1 mars 2018
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Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Jean-Charles Hourcade, ingénieur polytechnicien, ancien dirigeant chez Thomson et ancien directeur du fonds France Brevet et Antoine Pyra, socio-économiste.
Notre constat : le coût des prix
Les prix, les prix, toujours les prix… C’est ainsi que les libéraux se prétendent proches des pauvres, en ayant la réduction des prix comme objectif de civilisation. Pour y parvenir, il faudrait limiter le crédit et promouvoir la compétition, partout, tout le temps.
Au nom de la baisse des prix, et donc de la concurrence, la finance a été déréglementée, les services publics bradés et le droit du travail attaqué.
L’ensemble de la stratégie industrielle française a été fondé sur la compétitivité-prix des grands groupes à coups de milliards d’exonérations de cotisations sociales, notamment sur les bas salaires. Ce choix stratégique a été fait au détriment de nécessaires investissements dans la production de qualité, alors que nous avions déjà abandonné le contrôle public sur nombre de nos « champions nationaux ». Enfin, au nom d’une théorie sur la spécialisation internationale du travail héritée du XVIIIe siècle, la maîtrise de nos frontières a été abandonnée au profit du libre-échange pour tous.
Les prix ont pourtant un coût : social, écologique et économique. Dans les pays du Sud, ceux qui avaient suffisamment investi dans les biens publics (santé, éducation, infrastructure) et imposé de strictes conditions à leur ouverture à la concurrence internationale ont pu tirer leur épingle du jeu. Mais les conditions de travail dans ces pays et le niveau de pollution se sont avérés désastreux. Les autres ont vu disparaître les cultures vivrières et, du fait des monocultures d’exportation, se multiplier les famines.
En France, depuis les années 1970, la désindustrialisation progresse à un rythme effrayant. En quinze ans, la France a perdu environ un million d’emplois industriels, sans compter les emplois indirects perdus parce que des industries choisissent de consacrer l’équivalent de 80 % de leur masse salariale en consom-mation de services aux entreprises. Nous sommes donc bien loin du mythe d’une société postindustrielle qui pourrait se passer de ses industries sans que cela ne pose problème aux emplois du secteur tertiaire. Des territoires entiers sont désertés, victimes de la désindustrialisation et des délocalisations. Les chômeurs peinent à retrouver un emploi. La misère s’accroît dans la ruralité.
Le désastre est également écologique. La nature est vue comme un réservoir de ressources infinies dont l’extraction doit être optimisée, en vue d’augmenter la rentabilité financière des entreprises et la rémunération du capital. Ainsi, nous exploitons toujours plus les ressources naturelles, même sous l’appellation de « croissance verte » : marchés du carbone, verrouillage de l’utilisation de ressources non renouvelables par la soi-disant « capture de CO2 », soutien à l’agriculture productiviste par l’intermédiaire des biocarburants, etc. Des ressources renouvelables et leurs écosystèmes sont détruits, avec des effets nuisibles potentiellement imprévisibles. Le productivisme ne fait pas que creuser les inégalités Nord-Sud avec ces iniques accords de libre-échange, il exporte en outre la pollution des pays du Nord. « Cela crée de l’activité ! », crient les libéraux, sans jamais se soucier des impacts sur la santé, sur les nappes phréatiques et l’environnement, et donc sur la vie des êtres humains.
Pendant ce temps, les marges des grandes entreprises et les rémunérations des actionnaires ne cessent de croître, alors que l’investissement productif stagne : les dividendes des actionnaires du CAC40 ont grimpé de 60 % entre 2009 et 2014 ! Mais plus le capital est rentable, plus il coûte cher aux entreprises qui limitent leurs investissements aux projets promettant les taux de profits les plus élevés, au détriment de la préparation du long terme et de leur propre développement. La mondialisation libérale nous prive de nombreux emplois, de nos décisions souveraines, de l’avenir de nombreuses espèces de notre planète, y compris la nôtre. C’est intolérable !
Notre projet : développer l’emploi industriel écologique
Produire en France suppose une nouvelle stratégie industrielle fondée sur les compétences des salariés, les filières, la relocalisation de l’activité, et la priorité donnée à la transition écologique. Il faut en finir avec l’injustice faite aux petites entreprises au bénéfice des grands groupes, notamment du fait du chantage aux délocalisations.
La vision du travail comme un coût et celle de la compétitivité comme un problème de prix sont réductrices et inadaptées. La pression concurrentielle des pays émergents est trop forte et le « rempart » de la productivité ne protège plus.
Les grandes entreprises françaises pourraient mieux valoriser les compétences de leurs salariés. Au lieu de cela, elles restent accrochées au modèle taylorien hiérarchisé conduisant à un manque de dialogue social, une ignorance des compétences des salariés, le tout soumis aux critères de rentabilité financière.
En abandonnant les outils de la planification, l’État a rompu avec la réflexion en termes de filières qui a pourtant été un grand outil de développement industriel pour la France. De même, la politique industrielle est exclusivement dédiée aux champions nationaux sans jamais considérer leur écosystème productif. Une industrie n’existe pas seule, mais parce qu’elle est entourée d’un ensemble d’activités : les services liés aux activités industrielles sont particulièrement abondants. Localiser la production en France suppose alors de réfléchir en termes d’écosystèmes productifs dans lesquels chaque partie du système nécessite la présence des autres, ancrés sur des territoires.
Le premier volet de cette nouvelle approche passe par un plan d’investissement de 100 milliards d’euros au plus vite. Ce plan massif permettra de répondre à l’urgence sociale de relancer la production industrielle dans les secteurs indispensables à la transition écologique, et donc la recherche et développement qui est pour moitié liée à l’activité industrielle, ou encore de développer les infrastructures scolaires nécessaires à la montée en gamme de nos industries.
Même le FMI (Fonds monétaire international) et l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) le recommandent maintenant ! Plus récemment, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a produit un rapport défendant l’investissement dans la transition écologique ou dans les infrastructures scolaires pour le développement de l’emploi sur le long terme.
Le protectionnisme solidaire sera le second volet qui nous permettra de relocaliser l’activité, et ce, dès notre prise de pouvoir avec la remise en place de droits de douane aux frontières nationales. Le protectionnisme solidaire se matérialise notamment par des taxes aux importations selon des critères écologiques, sociaux et stratégiques, négociées avec nos partenaires commerciaux. Il ne s’agira donc pas de taxer aveuglément des produits que nous ne pouvons pas produire sur le sol national, ou de produire en quantité insuffisante.
Nos propositions : l’Etat stratège et acteur industriel
1- Engager un plan de relance social et écologique
L’économie française doit renouveler son tissu productif et ses infrastructures afin de mener la transition écologique, d’amoindrir la dépendance de certains secteurs au commerce international et de tendre vers le plein-emploi. En menant un plan de relance écologique et social, nous relançons à la fois la demande et l’investissement productif en France. Comme le propose notamment l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), ce plan sera financé par l’emprunt. Un tel moyen de financement est plus efficace pour créer des emplois car il permet de dégager des crédits très rapidement et renforce le patrimoine de l’État en améliorant le ratio actifs / dettes.
Ce plan d’investissement sur les premières années de mandat permettra :
· d’affronter l’urgence écologique pour plus de 50 milliards par :
- l’isolation thermique de 700 000 logements
- le développement des énergies renouvelables sur la base du scénario Négawatt, ce qui passe par le soutien à l’utilisation de ressources renouvelables locales en remplacement des ressources fossiles massivement importées et par le développement de nouveaux procédés permettant d’assurer la conversion écologique des industries, conversion qui doit accompagner la relocalisation des activités productives
- un plan de ferroutage et de transports portuaires et fluviaux permettant notamment d’assurer le transport industriel en remplacement de la route (voir livret Transports #18)
· de s’attaquer à l’urgence sociale pour 45 milliards :
- la construction de 200 000 logements publics
- l’ouverture de 350 000 places en crèche
- la mise en place d’un grand plan Handicap (voir le livret thématique correspondant dans la même collection)
- l’ouverture de 50 000 places en maison de retraite ;
· de préparer le futur et améliorer les services publics pour 7 milliards :
- l’accélération du plan France Très haut débit
- la rénovation des prisons, construction et rénovation des tribunaux et commissariats
- la rénovation des universités et construction de logements étudiants
- la construction de 2 000 centres de santé ;l’ouverture de lycées professionnels, en vue de former les techniciens de l’industrie française.
PLAN DE RELANCE : KIT ARGUMENTAIRE
Pourquoi investir ?
La relance keynésienne est nécessaire en période d’activité atone. L’investissement public est un impératif pour répondre aux urgences sociale et écologique quand le modèle productiviste capitaliste massacre la planète et saccage les biens publics. Il permettra également de soutenir la demande et donc l’activité, alors que la crise est toujours là.
N’y aura-t-il pas éviction de l’investissement privé ?
Les études récentes sur le sujet, du FMI par exemple, indiquent au contraire que l’investissement public a un fort effet d'entraînement sur l’investissement privé. Les nouveaux projets et l’amélioration des infrastructures génèrent de nouvelles activités et de nouvelles initiatives, renforçant l’effet initial.
Cela va-t-il augmenter les « importations » ?
La libéralisation des échanges commerciaux a en effet conduit à une hausse de l’ouverture de l’économie française : le commerce/PIB passe de 30 à 60 % entre 1960 et 2015.
Notre programme permet de limiter ces « fuites » :
· Le protectionnisme solidaire permet de diminuer le taux d’ouverture commerciale
· La relance par l’investissement public est moins intensive en importations que s’il s’agissait d’une relance par la consommation. Selon la Direction du Trésor, le bâtiment, qui est au cœur de notre plan d’investissement, est un des secteurs les moins utilisateur de ressources importées
· La redistribution des richesses diminuera le poids des importations. Selon un rapport publié par le Sénat, 12,5 % de la consommation des plus pauvres correspond à des produits importés (15 % pour les plus riches)
· Toutefois, les infrastructures en énergies renouvelables sont en grande mesure importées. La transition requiert une logique d’ensemble et une politique industrielle ambitieuse. C’est pourquoi la planification écologique est nécessaire pour créer des filières nationales.
La dette va-t-elle augmenter ?
Un plan de relance centré sur l’investissement n’augmente pas nécessairement la dette. Les économistes estiment que l’effet « multiplicateur » de l’investissement est supérieur à 1, et peut aller jusqu’à 3. On prévoit donc que le ratio dette publique / PIB décroisse. Et comme les taux sont particulièrement bas (négatifs à 2 ans, 1 % à 10 ans, 2 % à 30 ans), l’incitation à investir est toujours forte. La charge de la dette est donc très faible. C’est pourquoi le FMI, l’OCDE et le G20 recommandent d’investir, alors même que la plupart des pays ont une dette publique comparable à une année de production (France = 98 % du PIB ; États-Unis > 100 % ; Japon = 230 %).
Enfin, la hausse de l’endettement total des dernières années, y compris dans le secteur privé, n’est pas liée à l’investissement public, qui est en réalité en dessous de la moyenne des décennies précédentes. Les causes sont liées à des facteurs plus fondamentaux tels que la déréglementation financière, la hausse des inégalités, la déformation de la valeur ajoutée en défaveur des salaires, depuis le tournant néolibéral des années 1980.

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