POUR UNE JUSTICE « AU NOM DU PEUPLE »
- administrateur
- 6 mars 2018
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Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Hélène Franco, magistrate, et Xavier Robert, avocat.
Notre constat : une justice à la botte des puissants
La justice est négligée. Depuis trop longtemps, la justice est le parent pauvre des missions régaliennes de l’État : son budget est dérisoire au regard des besoins, son fonctionnement trop complexe et trop obscur pour le justiciable. Victime de restrictions budgétaires aberrantes, l’institution judiciaire est à l’agonie et ne peut plus remplir ses missions de service public.
Les chiffres sont sans appel : avec seulement 10 juges professionnels pour 100 000 habitants (contre 21 en moyenne au sein des pays du Conseil de l’Europe), avec un budget de 72 euros par habitant dédiés à la justice (soit deux fois moins qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne) et avec des procédures d’une durée de 304 jours en moyenne (contre 19 jours au Danemark, 91 aux Pays-Bas, etc.), la France se classe parmi les plus mauvais élèves de l’Union européenne en la matière.
Les juridictions sont en sous-effectif constant et souffrent d’une détérioration sans précédent de leurs locaux : les tribunaux croulent sous les dossiers entassés dans les couloirs et leurs équipements informatiques sont obsolètes. Les lieux de détention sont à ce point délabrés qu’ils sont envahis par les rats ou les punaises de lits, le scandale récent de la prison de Fresnes en est l’un des tristes exemples.
« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons. » attribué à Fiodor Dostoïevski
La paupérisation de l’institution judiciaire s’en ressent jusque dans les rangs des avocat·e·s, dont les énormes disparités de revenus sont la preuve de la précarité financière qui touche certaines matières (droit pénal, droit des étrangers, droit du travail) et certaines catégories (les femmes, les jeunes, les commis d’office), précarité qui se mêle bien souvent à une concurrence exacerbée et à une surcharge de travail insoutenable.
Ce cruel manque de moyens est la cause première des simulacres de justice que sont devenues les comparutions immédiates, des délais déraisonnables de traitement des affaires prud’homales, de la dégradation des relations entre magistrats et avocats.
Dépendante organiquement du pouvoir exécutif depuis l’instauration de la Ve République, la justice ne fait bien souvent que reproduire et aggraver des inégalités sociales déjà intolérables. La justice est sous influence.
Dans la monarchie républicaine qui est la nôtre, le président concentre une quantité de pouvoirs disproportionnée. À la tête de l’exécutif, il est, selon la Constitution, également le garant de l’indépendance… de la justice !
François Hollande proposait en 2012 la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Cinq ans plus tard, cette réforme pour l’indépendance de la justice attend toujours : c’est désormais l’exact opposé qui se produit sous l’empire d’un état d’urgence qui n’en finit plus et de ministres surfant sur la vague démagogique du tout-sécuritaire.
Cette dépendance à l’exécutif a pour conséquence de focaliser la politique pénale presque exclusivement sur la lutte contre la petite délinquance, et de persister de façon insupportable à ne pas s'attaquer à la délinquance en col blanc, et notamment la corruption qui touche les sphères économiques et politiques. L'exemple récent de la baisse du délai de prescription à 12 ans pour les délits financiers voté en catimini est d'autant plus scandaleux.
Les affaires récentes (Balkany, Bygmalion, Lagarde, etc.) ne cessent ainsi d’alimenter le sentiment que, comme avant la Révolution de 1789, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous feront blanc ou noir » (La Fontaine, Les Animaux malades de la peste).
Bref, l'idée d’une justice injuste se propage, et jette le discrédit sur les majorités qui se sont succédé à la tête de l’État.
En ce qui concerne les politiques pénales, le constat est édifiant. Les attaques terroristes qui ont touché la France en 2015 et 2016 ont durablement affecté le système pénal de notre pays en accélérant le mouvement du tout-répressif engagé par Nicolas Sarkozy.
Sauf que cette politique pénale est inefficace et dangereuse. La Commission nationale consultative des Droits de l’homme (CNCDH), dans son avis du 26 janvier 2017, rappelait que « sur près de 4 200 perquisitions réalisées depuis le déclenchement de l’état d’urgence, seules 20 ont débouché sur l’ouverture d’une procédure pour association de malfaiteurs par le parquet antiterroriste ».
L’éviction du juge judiciaire, mise en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence et rendue pérenne par la loi dite « Urvoas » du 21 juillet 2016, empêche le contrôle par une instance indépendante du bien-fondé de l’action des services de police, ce qui ouvre la voie à toutes sortes de dérives anti-démocratiques (assignations à résidence abusives, contrôles au faciès, etc.).
Ceci s’inscrit dans un courant plus général de répression accrue. L’augmentation exponentielle du nombre de détenus (20 000 en plus depuis 2002) ne fait qu’aggraver les situations de récidive selon toutes les études menées en la matière.
Enfin, la France souffre de carences notoires en matière de respect des droits humains : procédure de garde à vue qui ne garantit par les droits de la défense, surpopulation carcérale, pénalisation contre-productive de la consommation de cannabis, répression des mouvements sociaux, etc.
La France a d’ailleurs été épinglée à de multiples reprises par la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) en raison de la dépendance du parquet au pouvoir exécutif, parquet qui de ce fait ne peut être considéré comme une « autorité judiciaire » selon cette juridiction.
La patrie de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Notre projet : une justice indépendante au service de l’égalité
Nous proposons de mettre fin à cette spécificité française d’une justice à deux vitesses héritée de la Ve République et d’un demi-siècle d’impensé judiciaire..
Notre conception et nos propositions pour une révolution judiciaire se placent en effet dans la perspective d’une refondation des institutions avec la convocation d’une assemblée constituante afin d’amorcer le passage à une 6e République. La revalorisation du pouvoir parlementaire ainsi qu’une réelle indépendance de la justice sont au cœur de cette « révolution citoyenne ».
Toutefois, le processus constituant qui s’étalera sur plusieurs mois ne devra pas empêcher d’engager sans attendre les changements urgents et nécessaires au bon fonctionnement d’une justice du XXIe siècle.
Notre projet vise à refonder le système judiciaire français en articulant trois principes fondamentaux :
· La garantie d’une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. La lutte contre la collusion entre exécutif et judiciaire et contre l’impunité des puissants doit se faire par la redéfinition en profondeur des institutions républicaines
· La réaffirmation de la mission d’intérêt général que doit assurer la justice. Les professionnel·le·s du monde judiciaire doivent non seulement être au service des justiciables, mais être aussi en mesure de répondre de manière durable aux problématiques contemporaines
· La recherche d’efficacité et la protection des droits humains dans la poursuite de la politique pénale. La justice doit être pensée en fonction de son efficacité politique et sociale : la peine raisonnable et adaptée ainsi que le strict respect des libertés fondamentales sont les seules solutions pérennes aux défis de notre temps.
Nos propositions : la justice de la 6ème République
1- Une justice conforme aux principes républicains
Organiser une distinction claire entre les pouvoirs :
· Fin du « verrou de Bercy » en matière fiscale, c’est-à-dire du pouvoir donné au ministère du Budget de faire obstacle aux poursuites pénales contre les fraudeurs fiscaux. La justice retrouvera ainsi la plénitude de ses compétences
· Suppression de la Cour de justice de la République, juridiction d’exception en charge de juger de la responsabilité pénale des ministres (pour les actes commis dans le cadre de leurs fonctions). Composée de 12 parlementaires et 3 magistrats, elle ne présente pas les garanties d’une juridiction indépendante et organise l’impunité des politiques ainsi que l’a montré l’affaire Lagarde
· Suppression de la possibilité pour les magistrat·e·s de passer du parquet au « siège », c’est-à-dire d’être procureur puis juge. Il faut mettre fin à cette situation absurde dans laquelle les juges sont tour à tour en position d’accuser et de juger, ce qui porte évidemment atteinte au principe de l’impartialité du juge du siège
· Renforcement de l’indépendance des juges d’instruction par la collégialité et le détachement d’officiers de police judiciaire auprès des juridictions, sur la base du volontariat et pour une période renouvelable de trois ans, afin d’éviter l’intrusion de la hiérarchie du ministère de l’Intérieur au cœur des enquêtes sensibles
GARANTIR L’INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE : RÉFORME DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE (CSM) ET CRÉATION D’UN CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA JUSTICE
Aujourd’hui, le système cumule tous les inconvénients du système autoritaire de la Ve République (en confiant notamment au président de la République la prérogative constitutionnelle d’être le garant de l’indépendance de la justice alors qu’il est un acteur politique). En même temps, ce système permet nombre d’inégalités de traitement, notamment par l’opportunité des poursuites pénales laissée à chaque parquet. Il s’agit de garantir l’indépendance des magistrats à l’égard du pouvoir exécutif, sans pour autant instaurer un gouvernement des juges. C’est à la représentation nationale et au pouvoir législatif de fixer le cadre judiciaire de la République.
Le CSM actuel ne remplit pas la tâche de garantir l’égalité de traitement entre les justiciables, faute de moyens et de volonté politique. Nous instaurerons donc à sa place un Conseil supérieur de la justice qui sera responsable devant le Parlement auquel il rendra des comptes au moins une fois par an. Ce conseil aura toutes les prérogatives de l’actuelle direction des services judiciaires du ministère de la Justice (nominations des magistrat·e·s, inspec-tion des juridictions, etc.) ainsi que du CSM (évaluation, recrutements complémentaires de magistrat·e·s et instance disciplinaire). Ses membres seront élu·e·s pour moitié par les magistrat·e·s et pour moitié nommé·e·s par le Parlement. Il comprendra des représentant·e·s des magistrat·e·s comme dans l’actuel CSM, mais aussi des greffier·e·s, des avocat·e·s, des notaires, des huissiers. Afin d’éviter l’entre-soi des professionnel·le·s et pour permettre l’implication citoyenne, le Parlement désignera en outre pour y siéger des universitaires, mais aussi des représentant·e·s d’associations de lutte contre la pauvreté, contre la corruption, et d’aide aux victimes.
Ses missions seront encadrées par une loi d’orientation de politique pénale votée chaque année par le Parlement.

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