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PASSER A LA FRANCOPHONIE POLITIQUE

Dernière mise à jour : 29 mars 2018

Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Bernard Cassen, professeur des universités émérite, Claude Poliak, sociologue au CNRS, et Roger Tropéano, professeur et responsable associatif. Il s’appuie sur de nombreux entretiens et apports extérieurs, et en particulier sur le rapport d’information n° 1723 (janvier 2014) de l’Assemblée nationale Pour une ambition francophone


Notre constat : cette oligarchie qui parle le dollar


Dans son ouvrage Combats pour le français, Claude Hagège, professeur au Collège de France, cite l’écrivain britannique T. B. Macaulay qui, en 1835, assignait à la colonisation de l’Inde la mission de former « une classe d’individus indiens de sang et de couleur, mais anglais par leurs goûts, leurs opinions, leurs valeurs et leur intellect ».



Un peu moins de deux siècles plus tard, l’entreprise de colonisation des esprits des « élites » est devenue planétaire. Elle sert cependant moins les intérêts politiques du Royaume-Uni que ceux des États-Unis en tant que promoteurs et premiers bénéficiaires de la mondialisation néolibérale. Mais elle a toujours comme principal vecteur la diffusion de l’anglais, ou plus exactement de l’anglo-américain. Claude Hagège montre bien la « solidarité naturelle » qui, depuis l’économiste écossais Adam Smith (1723-1790) et son collègue britannique David Ricardo (1772-1823), « unit l’idéologie libre-échangiste et la langue anglaise ».


Ces « assises libérales communes » sont confortées par les actions volontaristes de la nébuleuse des décideurs politiques et économiques anglo-saxons qui, eux, ont parfaitement compris les avantages – en premier lieu le formatage des esprits sur leur « modèle » – et la rente financière qu’ils retirent de l’imposition d’une langue unique mondiale, la leur, qui joue le même rôle que celui du billet vert comme monnaie de réserve dans le système financier international.


En France, les situations quotidiennes où le libéralisme impose l’anglais sont nombreuses : industrie du divertissement, publicités, documents de travail dans les grandes entreprises, ou encore pratique de « naming » de produits, etc.


LE FRANÇAIS DANS LE MONDE

En 2014, on estimait à 274 millions le nombre de locuteur·trice·s du français (francophones et francophones partiels confondus) réparti·e·s sur les cinq continents. S’y ajoutent 125 millions de personnes qui apprennent le français ou en français. Le français est la 5e langue la plus parlée dans le monde, la 3e langue des affaires et la 4e langue d’Internet.

Les projections démographiques montrent que, en 2050, le nombre de locuteur·trice·s du français s’élèvera à 700 millions sur une population mondiale de 9, 1 milliards, soit une personne sur 13. Environ 85 % de ces francophones seront en Afrique.

Le français est la langue officielle ou co-officielle de 34 pays. Il a également le statut de langue officielle ou de langue de travail dans la quasi-totalité des grandes organisations internationales, dont toutes celles de la famille de l’ONU. L’exception la plus notable – et elle est significative - est le Fonds monétaire international (FMI) où seul l’anglais a droit de cité alors même que traditionnellement les directeur·trice·s du FMI sont français·es et nommé·e·s par la France.

Que ce soit en Suisse alémanique où certains cherchent à remplacer à l’école le français par l’anglais, en Wallonie ou au Québec, l’anglicisation progresse dans les zones francophones. En Tunisie, le gouvernement envisage de remplacer l’enseignement du français par celui de l’anglais. La Francophonie est donc un bien commun culturel et politique en évolution constante.


Une langue est plus qu’un simple code pour l’échange d’informations : elle constitue le creuset même de l’identité de chacun. Nombreuses sont même les personnes qui en maîtrisent plusieurs. On ne voit pas et on ne pense pas le monde, pas plus que l’on ne crée ou n’invente de manière identique à travers le prisme du norvégien et à travers celui du quechua ou du chinois. Ce qui est vrai des individus l’est aussi des communautés et des nations. Pour le grand historien Fernand Braudel, « la France, c’est la langue française ». Tout comme, pour Umberto Eco, « l’Italie c’est avant tout une langue ». Pourtant, en France, les « élites » ont tôt fait de qualifier de « nationalisme » l’attachement des peuples à leur langue, alors que c’est parfois tout ce qui leur reste pour « faire société » et s’inscrire dans une histoire partagée.


LES INSTITUTIONS ACTUELLES DE LA FRANCOPHONIE

L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est l’institution centrale des États ayant le français en partage. Elle a été créée en 1970 à Niamey (Niger) sous l’appellation d’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Son siège est à Paris et compte actuellement 84 membres.

Ses quatre grandes missions sont les suivantes : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme ; soutenir l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable.

L’OIF dispose notamment sous sa tutelle de quatre opérateurs, l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), la chaîne francophone internationale de télévision TV5 Monde, l’Association internationale des maires francophones (AIMF), l’Université Senghor d’Alexandrie en Égypte.


Un exemple affligeant entre mille de la démission de ces « élites » est le choix d’un slogan en anglais (Made for sharing), projeté sur la Tour Eiffel, pour le dossier de candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024 et cela dans la patrie de Pierre de Coubertin, initiateur des Jeux olympiques modernes dont le français est la langue officielle ! Pire encore, en choisissant de basculer leur documentation interne à l’anglais des entreprises s’affranchissent de la loi Toubon, qui sti-pule pourtant que « le français est la langue du travail et des échanges ». C’est même le cas dans des entreprises dans le conseil d’administration desquelles des représentant·e·s de l’État siègent. C’est une souffrance au travail supplémentaire pour des francophones d’être contraints de travailler dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas aussi bien que leur langue maternelle. L’indignité va jusqu’à mener des réunions en anglais en France, dans des firmes françaises, très souvent entre des salarié·e·s qui sont tou·te·s francophones ou français.


Les instances européennes cherchent à casser les jugements contre les délinquants linguistiques condamnés en France au titre de la loi Toubon et qui allèguent au niveau européen la « concurrence libre et non faussée ». Mais outre-Atlantique la solidarité anglophone est un puissant ciment politique. Ainsi, ce n’est certainement pas un hasard si le réseau d’espionnage de la National Security Agency (NSA), employant plusieurs dizaines de milliers d’agents et doté de puissants moyens de communication dématérialisé comme Internet ou par satellites, a pour seuls partenaires à part entière des pays anglo-saxons, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, pour lesquels les États-Unis sont une seconde patrie. Nous aussi faisons de la francophonie un grand espace géopolitique !



Notre projet : la géopolitique du français en partage


La France n’est pas une nation occidentale, mais une nation universaliste. Elle a une responsabilité particulière, eu égard à son histoire et à son poids économique au sein de la diplomatie mondiale. En ce sens, la position que défend la France insoumise est celle d’une nation non alignée et en capacité d’avoir une place singulière dans le monde.


Trop souvent, le sentiment d’appartenance fondé sur la langue est sous-estimé.

Nous le réaffirmons au moment où des espaces géoculturels autour d’autres grandes langues (arabe, anglais, chinois, espagnol, portugais, russe, turc). Ces espaces ont vocation à se transformer en communautés d’intérêts et en acteurs géopolitiques. Nous voulons défendre notre langue commune dans tous les pays où elle est contestée comme la Suisse, la Tunisie, certains pays d’Afrique subsaharienne où les milieux dirigeants veulent désormais privilégier l’anglais. Il s’agit de bâtir une aire – ou un archipel d’aires – d’interactions et d’échanges privilégiés débouchant sur des coopérations, des réalisations et des créations dans tous les domaines : recherche, formations universitaires et professionnelles, mobilité des étudiant·e·s et des enseignant·e·s, soutien aux quelque 900 000 professeurs de français dans le monde, culture, économie, commerce solidaire, etc.

L’article II de la Constitution (« la langue de la République est le français ») doit être respecté, la loi Toubon, votée par le Parlement à la quasi-unanimité en août 1994, doit être sensiblement renforcée et respectée. Comme a pu l’écrire Régis Debray dans À demain de Gaulle, une langue « n’est pas un instrument, mais un milieu de vie, le fil d’or d’une vitalité longue et singulière ». Ce milieu de vie commun, c’est celui des 34 pays ayant le français comme langue officielle ou co-officielle. À ces pays, il faut ajouter les 50 autres où le français est utilisé dans des proportions très variables, et qui sont, eux aussi, membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Nous faisons nôtre ce qu’écrit l’association Courriel (Collectif unitaire républicain pour la résistance, l’initiative et l’émancipation linguistique) : le français est le « premier service public de France, la mémoire vive de notre histoire nationale dans ses contradictions, le socle de l’existence nationale, le ciment de la Francophonie internationale dans sa diversité, le support d’une littérature, d’une chanson, d’un cinéma, d’une science, d’une philosophie, qui appartiennent au patrimoine mondial de l’humanité ».

Sauf exceptions encadrées par la loi, le français doit rester la seule langue d’enseignement. Ce qui ne doit évidemment pas empêcher de développer le plurilinguisme véritable, y compris l’allemand en première langue, et aussi d’ouvrir les horizons avec l’arabe, le chinois ou l’espagnol, dans le cadre laïque de l’Éducation nationale. Car si l’anglais devient de fait la seule langue étrangère enseignée dans toute l’Europe dès l’école primaire, les langues nationales seront rapidement dénaturées, reléguées et éliminées au détriment de la diversité culturelle de l’Europe et du monde.


Il faut se féliciter que la francophonie ne se contente pas (ou plus) de défendre et illustrer la langue française ; elle se veut la championne de la diversité linguistique, en premier lieu en son sein. Elle se doit à cet égard de valoriser les métiers de traduction et d’interprétariat et de promouvoir les méthodes d’intercompréhension des langues d’une même famille, en premier lieu celle des langues latines.


Le champ des possibles est immense et il peut donner à la France une nouvelle perspective historique, celle d’œuvrer à la réalisation d’une ambitieuse francophonie politique tout aussi importante que la construction européenne.


Il ne s’agit pas de contourner l’OIF, mais à partir du premier cercle de ses 34 États ayant le français comme langue officielle ou co-officielle, de constituer un « noyau dur », quelle que soit sa formalisation juridique, disposé à s’affirmer comme tel dans le monde et à mobiliser des moyens humains et financiers pour développer des politiques communes, sans jamais oublier la promotion de la langue commune. Dans la terminologie des traités européens, voilà quelles seront nos « coopérations renforcées ».


La France pourrait être l’un des États clés à l’origine de ce projet qui aurait l’avantage de rassembler des pays du Nord et du Sud et de mettre en place des formes d’organisation, de coopération et de solidarité généralisables à l’ensemble de l’OIF, voire des Nations unies. Ce serait un ciment puissant pour une géopolitique non alignée, à la fois souveraine et altermondialiste.


Les propositions qui suivent visent donc à créer les conditions d’émergence d’une véritable communauté politique francophone excluant tout lien de dépendance ou de sujétion entre ses membres tout en défendant bien plus fortement l’usage du français en France même, faute de quoi c’est toute la Francophonie qui sera déstabilisée.


Nos propositions : l’ambition de la francophonie


Notre objectif est de faire de la langue française le ciment d’un nouvel acteur géopolitique, notamment par le renforcement et l’élargissement du socle des actions déjà en cours aux niveaux national, bilatéral et multilatéral.


Certaines des propositions qui suivent reprennent celles du rapport parlementaire Pour une ambition francophone (Assemblée nationale, 2014).


En élargissant les missions actuelles de l’OIF, la communauté politique de la francophonie doit pouvoir prendre position sur les grands dossiers internationaux, et en particulier sur la lutte contre le changement climatique, l’énergie, les migrations. Elle serait une des potentialités et une des formes de dépassement de la Constitution française qui, dans son article 87, dispose que « la République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage ». Après un audit de l’OIF et de ses opérateurs, l’enjeu serait de réorganiser les institutions de la francophonie en agissant pour son recentrage sur la défense de la langue française, sur son rayonnement et sur son usage commun.


1- Face à l’hégémonie de l’anglais, promouvoir le plurilinguisme

· Développer l’enseignement des langues autres que l’anglais (notamment les langues asiatiques et celles de nos voisins européens) dans le système éducatif

· Développer et expérimenter dans la formation initiale et la formation continue les méthodes d’intercompréhension des langues latines. Au sein de cette famille linguistique – dont font partie le catalan, l’espagnol, le français, l’italien, le portugais et le roumain –, on peut en effet apprendre à se comprendre tout en s’exprimant chacun dans sa langue

· Exiger l’utilisation du français dans les institutions internationales où il est l’une des langues officielles, en premier lieu dans l’Union européenne. Donner à tous les fonctionnaires français instruction ferme de faire respecter ce droit en application des circulaires du Premier ministre, et sanctionner les contrevenants. Soutenir les locuteur·trice·s des autres langues officielles qui sont dans la même situation

· Renforcer les dispositions de la loi Toubon, notamment en matière de contrats de travail, de publicité et d’enseignes commerciales, d’enseignement en français, et sanctionner les grandes firmes qui imposent illégalement à leur personnel francophone, notamment d’encadrement, de travailler exclusivement en anglais

· Sur le modèle de Médecine/Sciences, en lien avec les organismes de recherche, créer au moins une nouvelle revue scientifique de référence en français et encourager financièrement la publication de synthèses en français de travaux scientifiques originellement produits en anglais, notamment par des chercheurs francophones

· Renforcer l’usage du français dans la production des films des pays francophones tout en adoptant une politique soutenue de sous-titrage en langue nationale. Étendre la diffusion des films de langue française


2- L’éducation et la culture francophones

· Renforcer la présence des auteurs francophones ultramarins et étrangers dans les programmes scolaires

· Élaborer des contenus et des diplômes communs entre pays francophones

· Renforcer le réseau des instituts et alliances français dans les pays non-francophones et planifier des échanges d’étudiant·e·s et de lycéen·ne·s

· Abonner gratuitement les quelque 900 000 professeurs de français en exercice dans le monde à une publication électronique sur les pays francophones.


3- Partager les savoirs

· À l’intérieur de l’espace francophone, mettre en place progressivement un visa privilégié permettant la libre circulation en son sein des artistes, des universitaires, des chercheur·se·s, des ingénieur·e·s, des acteur·trice·s économiques et des étudiant·e·s

· Comme première concrétisation de ce projet, créer un programme de mobilité étudiante francophone du type Erasmus ; établir un fonds commun des pays francophones en faveur du financement de ce programme

· Développer les Centres internationaux d’études françaises (CIEF) afin d’étendre l’usage du français dans l’enseignement supérieur pour les étudiant·e·s des pays membres de l’OIF. Le but étant de valoriser une authentique identité francophone qui s’harmonise avec les identités nationales


4- Assurer le rayonnement du français

· Avancer à l’ONU vers une concertation régulière entre les États membres francophones comme à l’Unesco, afin de peser dans les décisions concernant le maintien de la paix, le développement durable, la politique environnementale et la protection de la diversité linguistique mondiale, etc.

· Élargir l’offre de programmes et d’informations de RFI, de France 24 et de TV5 Monde à de nouveaux partenaires francophones

· Organiser des rencontres régulières entre ambassadeur·drice·s des États francophones dans le maximum de pays, en premier lieu ceux membres de l’OIF

· Renforcer le réseau des Instituts français et des Alliances françaises ; réaliser quelques expériences pilotes de leur élargissement à la francophonie en vue de les généraliser

· Faire le même exercice pour les établissements d’enseignement français à l’étranger, ainsi que pour le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) de Sèvres actuellement placé sous la tutelle du ministère français de l’Éducation nationale

· Développer et diversifier les moyens de diffusion et de connaissance de la langue française sur tous les supports de communication disponibles : sites Internet dédiés, réseaux sociaux, plateformes collaboratives universitaires.

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