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ParcourSup, ou le point de non-retour à l’université

Dernière mise à jour : 22 mai 2018

Le constat est le même partout : l’université a ses coutures qui craquent de partout. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais caché son mépris des sciences humaines et sociales (rappelons-nous de la Princesse de Clèves…), l’université doit affronter une réforme majeure de fonctionnement tous les deux ans. C’est qu’il paraît qu’elle n’est pas assez compétitive, notre université française publique, presque gratuite et ouverte à tou.te.s les titulaires d’un bac ou diplôme équivalent ! Pourtant, nous en avons eu des médailles Fields et autres Prix Nobel, ces dernières années. Mais non, rien à faire, le fameux Classement de Shanghai a parlé : face au MIT ou à Harvard, nous ne faisons pas le poids internationalement. Mais comment comparer nos établissements ouverts à tou.te.s à ces universités super-sélectives où il faut (littéralement !) s’endetter sur plusieurs décennies pour pouvoir s’inscrire ? Comment comparer nos amphis en pur béton des années 70 aux campus verdoyants et splendidement équipés de la crème des universités américaines, abondamment sponsorisées par des mécènes privés et des entreprises qui y voient leur intérêt ? L’université française est un bien commun et un service public de l’éducation. Harvard est une société privée dont l’objectif est de délivrer, contre beaucoup d’argent, un diplôme à une petite élite qui pourra le monnayer sur le marché du travail.



Manif de lycéens à Tours (photo : Pascal Vallée)

Mais, en France, tous les gouvernements successifs, depuis 2007, incapables de faire la différence entre deux systèmes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, ont continué d’appliquer les mêmes mesures face à ce qu’ils avaient identifié comme les mêmes problèmes. Les facs coûtent trop cher ? Retirons-leur l’essentiel des dotations et rendons-les autonomes, pour qu’elles gèrent elles-mêmes leur budget ! Formidable ! Résultat : les facs s’endettent, et n’ont plus les moyens ni de recruter des personnels titulaires ni d’entretenir leurs locaux. Comme il faut bien assurer les cours, on recrute des précaires pour enseigner dans des salles sans chauffage. Les personnels administratifs et enseignants croulent sous la pression, les économies managériales, le gel des salaires et le mépris de leur ministère, mais comme à l’hôpital, comme au tribunal, l’université tient toujours… avec des bouts de ficelle et l’énorme conscience professionnelle des fonctionnaires qui font ce qu’ils et elles peuvent pour continuer à assurer leurs missions.


Reste un souci : les étudiants !


Voilà la cause de toutes ces dépenses… Les étudiants sont trop mauvais, trop nombreux. L’université n’est pas pour tout le monde, c’est Jupiter qui l’a dit. On va donc faire sauter le dernier verrou de l’université publique et sélectionner les étudiants les plus méritants, ceux qui sont là pour travailler parce qu’ils savent, à 17 ans, exactement ce qu’ils veulent faire dans la vie. Moins d’étudiants = moins besoin d’enseignants fonctionnaires = besoin de moins de toilettes qui fonctionnent ! Eurêka !

Vive les économies et les tableaux excel !


Ainsi naquit la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants – magnifique langue ministérielle qui supprime en même temps les instances spécifiquement chargées de l’orientation des bacheliers, les CIO…) et son bras armé : ParcourSup.


ParcourSup, c’est une plateforme informatique où les 800 000 bacheliers de 2018 doivent entrer 10 vœux non hiérarchisés mais argumentés pour leurs études. Non hiérarchisés, parce qu’il va de soi que tous les bacheliers de France ont envie de faire au moins 10 sortes d’études différentes, à égalité, sans aucune préférence. Argumentés, parce qu’ils et elles doivent justifier ces 10 envies de la manière la plus convaincante, lettres de motivation et CV à l’appui.


Ces 8 millions de vœux, accompagnés des notes des 800 000 élèves de terminale qui les ont émis, sont ensuite transmis aux établissements d’enseignement supérieur qui sont en charge de classer les demandes, en fonction des notes des candidats et de leur motivation. Les universités pourront ainsi, en fonction du nombre d’étudiants qu’elles souhaitent accueillir, sélectionner – non, pardon : choisir celles et ceux qu’elles jugeront les plus aptes.


Sauf que…

Qui est chargé de classer les dossiers des candidat.e.s ? Les personnels enseignants et administratifs, bien sûr ! C’est-à-dire celles et ceux qui sont au bord du burn-out collectif depuis dix ans pour les raisons expliquées plus haut ? Ceux-là mêmes ! Et on va leur demander de faire ce classement gigantesque sur une plate-forme qui ne marche pas bien, et cela en moins de deux mois, sans formation et à moyens constants ? Mais oui ! Formidable !


Bizarrement : les profs et les administratifs renâclent.

Avril-mai 2018 : les étudiants bloquent les universités, et bien des profs et des administratifs sont avec eux. Dans des dizaines de départements, les profs ont voté la rétention des notes ou la non-tenue des partiels, et surtout le refus de faire les classements ParcourSup. Les médias “mainstream“ ne le montrent pas, parce qu’il est plus aisé de supposer l’existence de hordes d’étudiants chevelus saccageant les amphis. Et puis le bon peuple est ainsi rassuré de voir les CRS débloquer tout cela.

Pendant ce temps, sur ParcourSup, me direz-vous ?

Eh bien, les élèves de terminale ont fini de rentrer leurs vœux… Au ministère, on commence à réaliser que, même dans les facs où les profs acceptent de faire les classements, l’opération est compliquée. Ainsi face aux protestations des profs ou des familles qui ne veulent pas de l’arbitraire d’une sélection par algorithme, on prétend que tous les dossiers seront examinés un par un, avec amour et bienveillance. Mais comment examiner et classer 3 à 5000 dossiers en quelques semaines ? Parce qu’en plus, ParcourSup ne fonctionne pas très bien – en langue par exemple, la plate-forme donne les notes sans préciser de quelle langue il s’agit : pour un recrutement en fac d’anglais, par exemple, c’est problématique… Et, lorsque des centaines de candidats ont une moyenne qui s’étale de 14.2 à 14.6, les dossiers ne se départagent pas si aisément… On en arrive à devoir pondérer des éléments extérieurs au bulletin de notes, comme le lycée de provenance (après tout, un 15/20 en lycée privé de centre-ville vaut-il vraiment un 15/20 dans un lycée de ZEP ?) ou la nature du job d’été pratiqué (entre une caissière à Franprix et une stagiaire dans un cabinet d’avocats, vous prenez qui ?) Magnifique exemple de reproduction sociale : donnons à celles et ceux qui ont déjà tout, de cette manière on est certain de ne pas se tromper !


Du côté des facs, ParcourSup est une catastrophe annoncée. Vu les circonstances dans lesquelles ils ont été faits, tout le monde sait que les classements sont éminemment contestables par les candidats mécontents qui ne manqueront pas de se manifester. En outre, entre les dysfonctionnements de la plate-forme et les refus des personnels enseignants et administratifs de contribuer à ce classement de pure sélection sociale, les retards s’accumulent, et tout le monde s’attend à un chaos généralisé en septembre. Le ministère a d’ores et déjà produit un document officiel, destiné aux rectorats, avec les éléments de langage pour rassurer les familles.



Du côté des candidats, la situation n’est pas meilleure. Nombre de bacheliers ne sauront qu’au dernier moment, où ils seront autorisés à étudier en septembre. Dans les familles, on s’attend à devoir organiser des déménagements en catastrophe dans la ville de la fac où le/la candidat.e sera finalement admis.e. Et en l’absence de hiérarchisation des vœux, ce sera la loterie : les bon.ne.s élèves pourront aller où ils/elles le désirent, parce qu’ils/elles auront le choix. Les autres… devront faire avec. Pas de choix ni de retour en arrière possible. C’en sera fini des étudiant.e.s au « parcours atypique », et du droit à l’erreur. Et que faire si, sur les 10 vœux émis, tous sont refusés ou « en liste d’attente » ? Pour ces jeunes-là, il n’y aura plus qu’à trouver un job et se faire à l’idée qu’il leur est interdit d’étudier…

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