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Mais quel rôle joue la Presse ?

Dernière mise à jour : 5 déc. 2018

Nous allons reprendre ici deux articles de l'association Acrimed. Pour la présenter, laissons-là se définir elle-même : Action-CRItique-MEDias [Acrimed]. Née du mouvement social de 1995, dans la foulée de l’Appel à la solidarité avec les grévistes, notre association, pour remplir les fonctions d’un observatoire des médias s’est constituée, depuis sa création en 1996, comme une association-carrefour. Elle réunit des journalistes et salariés des médias, des chercheurs et universitaires, des acteurs du mouvement social et des « usagers » des médias. Elle cherche à mettre en commun savoirs professionnels, savoirs théoriques et savoirs militants au service d’une critique indépendante, radicale et intransigeante. 


Le premier de ces articles concerne la question des perquisitions qu'a connu la France Insoumise le 16 octobre et le traitement médiatique qui en a suivi. Le texte est un peu long, mais il est très riche d'enseignement sur certains travers de la presse. Nous vous invitons à le lire attentivement.


Le second de ces articles concernent la présence des éditorialistes de droite extrême et d'extrême-droite dans les talk-shows, sur les chaînes d'infos en continue et sur les ondes. Qui sont, au demeurant, les éditorialistes de nombre de quotidiens et de périodiques.


Ces deux articles montrent que l'indépendance de la presse est compromise non seulement par le capital qui l'a vampirisé, mais aussi par l'idéologie des journalistes et pseudo-journalistes qui y travaillent.


Bonne lecture...


Le lien : https://www.acrimed.org/


« Affaire Mélenchon : misères du journalisme « d’investigation »

par Eric Scavennec, Lundi 3 Décembre 2018


Mardi 16 octobre 2018, une série de perquisitions visait la France insoumise et les domiciles d’un certain nombre de ses responsables. Cet épisode a été le point de départ d’un véritable déchaînement médiatique. Sur les chaînes d’information en continu, les images de ces perquisitions – et en particulier de la réaction de Jean-Luc Mélenchon – ont été largement diffusées. Les habituels habitués des plateaux se sont relayés pour saturer l’espace médiatique de commentaires réprobateurs à l’égard du responsable de la France insoumise [1]. Les enjeux de fond autour de ces perquisitions ont, quant à eux, été largement évacués.


Trois jours après ces événements, deux séries de révélations ont contribué à alimenter cet emballement médiatique : la publication de l’enquête de la cellule d’investigation de Radio France sur les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon ; et celle des premières découvertes policières issues des perquisitions, par le site Médiapart. Nous revenons sur ces deux enquêtes, où la rigueur supposée du journalisme d’investigation semble avoir laissé la place à l’opportunisme d’un journalisme de révélation.


Vendredi 19 octobre 2018 au matin, la cellule investigation de Radio France publiait son enquête sur les comptes de campagne du candidat Mélenchon. Plus tard dans la journée, un article de Mediapart faisait état des premières découvertes policières issues des perquisitions visant la France insoumise. Ces deux séries de révélations vont apporter de l’eau au moulin médiatique des commentateurs et éditorialistes, occupés depuis plusieurs jours à dénoncer la réaction de Jean-Luc Mélenchon face aux perquisitions, et être largement reprises dans les médias.


De l'information, on vous dit !

Placées sous le label de « l’investigation », ces deux enquêtes posent pourtant question à plusieurs égards. À commencer par les « révélations » de la cellule d’investigation de Radio France. À l’occasion du rendez-vous de la médiatrice, diffusé le vendredi 26 octobre sur France Inter, l’auteur de l’enquête, Sylvain Tronchet, ainsi qu’un autre journaliste de la cellule d’investigation, Benoît Collombat, reviennent sur les critiques recueillies par la médiatrice.


Une première critique porte sur la question du calendrier. La concomitance entre la publication de l’enquête sur les comptes de campagne du candidat Mélenchon et des perquisitions controversées [2] a conduit certains auditeurs à s’interroger sur l’indépendance des journalistes de Radio France. Cette interrogation fait écho à celle de Daniel Schneidermann dans Arrêt sur images qui s’interroge : si l’équipe de Sylvain Tronchet se fonde sur des documents en sa possession depuis longtemps, « pourquoi les publier trois jours après les perquisitions ? »


À cette question, les journalistes de la cellule investigation répondent qu’il s’agit d’une coïncidence : l’enquête sur les comptes de campagne de Mélenchon était un travail engagé de longue date (dès juillet 2017) et la date de publication et de diffusion de l’enquête avait été prévue à l’avance, bien avant les perquisitions. Coïncidence, donc, mais pas forcément malheureuse pour autant, puisque l’enquête a bénéficié d’un puissant coup de projecteur, et a été largement reprise, pas seulement sur les différentes antennes de Radio France comme le note Daniel Schneidermann, mais aussi sur les chaînes d’information en continu – avec entre autres l’invitation de Sylvain Tronchet sur le plateau de BFM-TV dans le courant de l’après-midi.


La critique la plus significative adressée à Sylvain Tronchet et rapportée par la médiatrice concerne le fond de son enquête, dont certains auditeurs pointent l’indigence. Les révélations de cette enquête portent sur le rôle clé joué par l’agence de communication Mediascop, dirigée par Sophia Chikirou, dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon. L’enquête pointe un mode de fonctionnement singulier – mais pas illégal pour autant. Elle repose essentiellement sur un examen critique des documents et factures des comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Sur cette base, elle évoque « des tarifs étonnamment élevés », et c’est là le cœur de l’enquête, laissant entendre que Mediascop aurait surfacturé certaines prestations – par la suite remboursées par l’État comme frais de campagne. Elle formule également des hypothèses sur la rémunération mensuelle de Sophia Chikirou, qu’elle estime à 15 000 euros mensuel, laissant entendre, mais sans le prouver, la possibilité d’un enrichissement personnel.


Seul problème : pour les différents montants évoqués pour les prestations et les rémunérations, aucun comparatif n’est proposé par l’auteur de l’enquête. Sylvain Tronchet le justifie en expliquant « qu’il y a des choses qui, indépendamment de toute comparaison, sont chères ». Puis d’ajouter que « comparaison n’est pas raison » compte tenu du caractère singulier de l’organisation de Mediascop. Cela n’a pas empêché Arrêt sur images de s’interroger, dans un article, sur les tarifs mentionnés par Sylvain Tronchet en s’adressant à des professionnels de la communication. Résultat : les tarifs pratiqués par Mediascop seraient « raisonnables » [3].


Précisons ici qu’il ne s’agit pas ici de balayer d’un revers de la main les questions se posant vis-à-vis des comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon, qui peuvent être examinées par la justice comme par les journalistes. Les critiques que nous formulons ici n’ont, par ailleurs, pas valeur d’adhésion aux contre-feux allumés par certains responsables de la France Insoumise. Nous avions déjà écrit à ce propos que les déclarations à l’encontre des médias et prises à partie des journalistes ne sauraient se confondre avec la critique des médias telle que nous la pratiquons.


Mais force est de constater que, du point de vue journalistique et surtout, du point de vue de « l’investigation » dont elle se revendique, l’enquête de la cellule de Radio France n’est pas convaincante. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces « révélations » annoncées avec fracas sur les « tarifs étonnamment élevés » de Mediascop se contente d’insinuations vis-à-vis de pratiques « inhabituelles » et de factures « complexes », ou encore de sous-entendus sur la possibilité d’un enrichissement personnel, mais sans jamais vraiment apporter d’éléments probants.


La seconde série de révélations intervient plus tard dans la journée du 19 octobre. Elles sont publiées sur le site de Mediapart sous la plume de Fabrice Arfi, Michel Deléan et Antton Rouget. Sur la base de documents issus de l’enquête, les journalistes de Mediapart révèlent que Sophia Chikirou se trouvait au domicile de Jean-Luc Mélenchon le matin des perquisitions ; et qu’ils entretiennent « une relation extra-professionnelle de longue date ». De plus, une somme de 12 000 euros en liquide a été découverte au domicile d’un des collaborateurs de Jean-Luc Mélenchon, dont l’origine « pourrait être problématique » selon les sources des journalistes, sans plus de détail.


La publication de ces informations a provoqué de nombreuses critiques, que Fabrice Arfi a évoquées dans une émission récente du Média, et sur lesquelles une partie de la rédaction de Mediapart est revenue lors d’un plateau filmé le mercredi 24 octobre. Tout d’abord, sur le fond, il est reproché à Mediapart d’avoir dévoilé, de manière gratuite, la relation entre Jean-Luc Mélenchon et Sophia Chikirou. Fabrice Arfi s’en défend sur le plateau du Média : pour lui, cette information serait « d’intérêt public », compte tenu du conflit d’intérêt potentiel lié au double rôle de Sophia Chikirou pendant la campagne présidentielle – comme directrice de la communication et comme prestataire de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Seul problème : il n’existe à ce stade aucune preuve tangible de surfacturation ou d’abus de la part de Sophia Chikirou. Cette révélation se justifierait donc sur la base de purs soupçons.


Autre aspect au moins autant problématique : en divulguant et commentant longuement les informations livrées par les policiers eux-mêmes, à peine trois jours après les perquisitions, les journalistes ne contribuent-ils pas à apporter leur caution à une procédure qui pose par ailleurs de nombreuses questions, et qui comme le soulignait pourtant un autre article de Mediapart, est dirigée par un procureur dépendant du gouvernement ? Un minimum de recul critique vis-à-vis de cette procédure aurait au moins été d’usage. Difficile pour Mediapart cependant de critiquer le cadre problématique d’une procédure tout en bénéficiant d’informations privilégiées de la part de ses initiateurs.


Cette contradiction fait écho aux propos du sociologue Dominique Marchetti, qui souligne le caractère problématique de la relation de dépendance réciproque qui peut s’établir entre les journalistes et institutions politiques, judiciaires et policières dans un article consacré au journalisme d’investigation. La focalisation de l’attention médiatique sur les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon illustre bien les effets pervers de ces interrelations. Comme le rappelle Arrêt sur images, les scoops sur les comptes de la campagne Mélenchon avaient précédé ceux sur la campagne Macron parce que la commission des comptes de campagne les avait publiés en premier. « Et si elle les avait publiés en premier, c’est que...c’étaient les plus demandés par la presse. »


Comme l’enquête de Radio France, les révélations de Mediapart posent problème sur le fond (relativement inconsistant), sur la forme et la temporalité. Elles illustrent certaines pratiques contestables du journalisme d’investigation, qui doivent faire l’objet d’une critique exigeante. Celle-ci ne saurait cependant se confondre avec une condamnation en bloc du journalisme d’investigation. La rédaction de Mediapart, comme la cellule d’investigation de Radio France (y compris les auteurs des enquêtes que nous critiquons ici) ont également produit des enquêtes sérieuses et qui ont contribué à éclairer le débat public. Dans les deux cas évoqués dans cet article, le sérieux de l’enquête semble cependant avoir laissé la place à l’opportunisme et à la facilité d’un journalisme de révélation.


Opportunisme, car un tel journalisme contribue à produire des « scoops » vendeurs, sous la forme de révélations de documents « exclusifs », dont le service après-vente sera assuré par les multiples instances du commentariat médiatique, talk-shows et émissions de débat. Surtout lorsque le sujet des révélations fait déjà l’objet d’une forte effervescence médiatique… Facilité, enfin, car le journalisme de révélation se borne à divulguer des informations en l’absence d’une mise en contexte voire d’un véritable travail d’enquête, de recoupage et d’interprétation. Il produit à moindre frais des « affaires » qui alimentent de véritables feuilletons médiatiques - qui s’avèrent parfois construits de toute pièce. Et contribuent à passer sous silence d’autres enjeux souvent bien plus significatifs.


Dans un précédent Jeudi d’Acrimed avec Fabrice Arfi, nous évoquions déjà la différence essentielle entre un tel journalisme de révélation, qui se borne à divulguer des informations « exclusives », de les commenter et d’en assurer le service après-vente ; et un véritable travail d’enquête qui devrait constituer le cœur du journalisme – et pas seulement du journalisme d’investigation.


[1] Nous y sommes revenus de manière très succincte dans cet article sur un plateau de LCI.

[2] Les perquisitions ont été critiquées par de nombreux commentateurs compte tenu du fait qu’elles étaient réalisées dans le cadre d’une enquête diligentée par le parquet de Paris, donc soumis à l’exécutif (comme le rappelle cet article de Mediapart) mais également rapport à l’ampleur des moyens mis en œuvre.

[3] Un article de CheckNews s’est intéressé plus particulièrement aux montants facturés pour les vidéos et les activités de conseil pour les campagnes de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron, et montre qu’elles sont « globalement comparables ».



Dans les talk-shows : le poids des éditorialistes de la droite extrême et d’extrême-droite

par Patrick Michel, Pauline Perrenot, Mardi 20 Novembre 2018


Parallèlement au « Zemmour Tour, édition 2018 », où l’on a pu voir Éric Zemmour promouvoir son dernier livre dans de nombreux médias pendant deux semaines, plusieurs articles et émissions furent consacrées à des débats variés sur le thème « Faut-il inviter Éric Zemmour ? » Par bien des aspects, cette focalisation – quelque peu hypocrite – des médias dominants sur la personne d’Éric Zemmour, voire uniquement sur sa dernière « polémique » en date, occulte bien d’autres pans du problème : la croissance de l’espace médiatique alloué aux éditorialistes, chroniqueurs et idéologues de la droite extrême et de l’extrême-droite (dont Zemmour n’est qu’un représentant), en particulier dans les émissions dites « de débat », les conditions qui permettent une telle représentation, et, en définitive, la teneur du débat public.


Dans les suites du « Zemmour Tour, édition 2018 », tournée promotionnelle riche en séquences « clash et buzz », plusieurs médias se sont intéressés aux problèmes posés par l’intense activité médiatique d’Éric Zemmour et (plus rarement) de ses épigones. Ainsi des articles du Monde, « Comment la droite réactionnaire pèse sur les débats politique » (réservé aux abonnés) et de Libération, « Rentrée télé : dispute à clics », ou encore de l’émission « La fabrique médiatique » de France Culture, qui consacrait son émission du 22 septembre à la question « Éric Zemmour a-t-il encore sa place dans les médias ? ». On aura également pu entendre Laurent Ruquier répondre aux critiques de Guillaume Meurice dans l’émission « Par Jupiter » (France Inter) du 19 septembre, où il était reproché à l’animateur de « On n’est pas couché » d’avoir été le « découvreur de talent » qui a rendu célèbre Éric Zemmour, chroniqueur dans son émission de 2006 à 2011.


Cette focalisation sur les récentes polémiques déclenchées par Éric Zemmour ne saurait nous faire oublier que depuis de longs mois, pas une semaine ne passe sans que le cirque médiatique ne charrie son lot de « polémiques », « phrases choc », « clashs », « dérapages » et autres « badbuzz ». Un vocabulaire désormais consacré dans le système médiatique, tant ce type d’épisodes « télégéniques » l’alimente et le fait vivre. Pour les mois de septembre et octobre, de telles « polémiques » ont ainsi été initiées par les propos d’Éric Zemmour [1] au cours de laquelle il avait reproché à une chroniqueuse de ne pas avoir un nom français, mais aussi Eugénie Bastié [2] ou encore Charlotte d’Ornellas [3]. Dans leur course à la surenchère, les médias font monter la sauce : rediffuser un extrait de choix, puis consacrer une émission au « dérapage » en question, espérant que les personnes invitées à commenter le dérapage « déraperont » à leur tour, donnant en pâture de nouveaux extraits à isoler, et de nouveaux « clashs » à commenter. Et pour peu qu’un bon client des plateaux « dérape » – inopinément bien sûr – au même moment sur Twitter, il se verra immédiatement offrir un fauteuil sur une chaîne de télé ou à la radio afin de s’exprimer sur le « dérapage » en sa qualité de « dérapeur », et sur les nouveaux « dérapages » engendrés sur les réseaux sociaux. Jusqu’à ce que d’autres sujets, propulsés par l’actualité ou par telle ou telle déclaration de tel ou telle responsable politique, donnent l’occasion de nouveaux… dérapages. Et ainsi de suite.


Éditorialistes de la droite extrême : de qui parle-t-on ?

Précisons d’emblée que si Éric Zemmour est le représentant le plus typique du groupe de journalistes, chroniqueurs et idéologues dont il est question ici, il n’est assurément pas le seul : on retrouve sur les ondes et dans les journaux un certain nombre d’autres personnalités de la droite extrême voire d’extrême-droite, dont les provocations sont susceptibles de créer « le buzz ». En plus des autres éditorialistes VRP du Rassemblement National dont nous pointions les pratiques en 2015, on peut fréquemment voir, entendre ou lire Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs Actuelles, invitée récurrente de « 28 minutes » (Arte), de « L’heure des pros » (CNews) ou sur BFM-TV ; Gilles-William Goldnadel, chroniqueur à Valeurs Actuelles, n’en finit plus d’éditorialiser pour le « FigaroVox » et dans « Les terriens du dimanche » (C8) ; Élisabeth Lévy, directrice de la rédaction de Causeur, est également une invitée régulière de « L’heure des pros » ou de « 24h Pujadas » (LCI), tout comme Ivan Rioufol, par ailleurs éditorialiste au Figaro, et Jean-Claude Dassier (Valeurs actuelles), bénéficiant des faveurs de Pascal Praud et de Laurence Ferrari (CNews) ; Charles Consigny, ancienne « Grande gueule » de RMC, est chroniqueur dans « On n’est pas couché » (France 2) depuis la rentrée ; Éric Brunet, animateur des émissions sur RMC et BFM-TV, est régulièrement invité sur les plateaux de confrères des mêmes chaînes ; Eugénie Bastié, enfin, est plus épisodiquement sollicitée – en sa qualité d’essayiste et d’éditorialiste au Figaro – dans la plupart des talk-shows cités, mais aussi sur BFM-TV, ou récemment dans la matinale de France Inter pour y promouvoir son dernier livre.

On voit donc que le monde de l’éditocratie de la droite très décomplexée voire d’extrême-droite se croise régulièrement sur les plateaux des talk-shows, notamment des chaînes d’information en continu. Mais ce petit monde connaît également quelques îlots d’hospitalité sur le service public : outre les émissions citées plus haut, l’émission de France Culture « Répliques », produite et animée par Alain Finkielkraut, reste une tribune toujours accueillante pour ces éditorialistes… qui savent rendre la pareille. Au mois de septembre, l’irascible académicien a ainsi bénéficié d’une enquête très élogieuse signée par Eugénie Bastié, dans les colonnes du « FigaroVox » : « "Répliques" : quand Finkielkraut pense contre lui-même ». C’est donc tout naturellement que la même Eugénie Bastié fut reçue le 20 octobre dans « Répliques », pour une émission intitulée « Le féminisme : état des lieux ». Puis, le 17 novembre, c’est Éric Zemmour qui eut l’auguste privilège de papoter avec Alain Finkelkraut.


Des éditocrates (presque) comme les autres

Avec les chaînes d’information en continu, les « talk-shows » se sont multipliés. Ce type d’émission, classique à la télévision et à la radio, peut être rentable pour peu qu’on sache attirer le chaland. Il n’implique aucun travail journalistique à proprement parler, et donc aucun frais d’enquête ni de tournage : il ne coûte que les rémunérations des animateurs et chroniqueurs maison et des techniciens en studio. Présents sur toutes les chaînes, hebdomadaires voire quotidiens, et présentés comme des émissions de « décryptage de l’actualité » ou de « débat », ces talk-shows nécessitent évidemment un vivier de « bons clients médiatiques », disponibles à toute heure pour s’exprimer sur tout et n’importe quoi, avec une prime au « franc-parler ». Les polémistes et idéologues précédemment cités cadrent parfaitement avec ce portrait-robot, comme nous l’écrivions dans un article consacré aux « éditocrates réactionnaires » :


Parce qu’ils s’assoient sur les plateaux comme dans leurs salons, ces auteurs sont devenus des spécialistes du jeu médiatique, de ses dispositifs contraignants, de ses formats à bras raccourcis, de ses simulacres de débats où gagne celui qui parle le plus fort. Et parce qu’ils dirigent ou animent, pour nombre d’entre eux, leurs propres blogs, journaux, émissions télé ou radio, ils ont le verbe facile des « bons clients » médiatiques.


Dans l’ensemble, leurs pratiques sont semblables à celle de la meute des éditocrates, mais ces idéologues – présentés systématiquement sous l’étiquette trompeuse d’« éditorialistes » ou de simples « chroniqueurs » – ont en commun leur affranchissement particulièrement outrancier des règles de déontologie les plus basiques qui prévalent dans le métier de journaliste, dont ils se réclament pourtant, tous ou presque. Et parmi celles-ci, la faculté d’affirmer n’importe quoi sans aucune vérification – une tendance générale de l’éditocratie.


Les exemples sont légion, d’Ivan Rioufol affirmant que « 50% des jeunes musulmans des cités se réclam[ent] de l’État islamique » sur la base d’un sondage inexistant [4] à Éric Zemmour ou Charlotte d’Ornellas, grands agitateurs des peurs sur « l’immigration massive » qui brandissent régulièrement l’épouvantail des 400 000 ou 200 000 nouveaux étrangers de plus par an. Quand bien même des contradictions sont (parfois) apportées en plateau, ces idéologues n’en ont cure (« les téléspectateurs se feront leur opinion », est leur mot d’ordre), et surtout, répètent sur le plateau suivant l’affirmation démentie sans que cela n’émeuve les présentateurs. C’est encore Charlotte d’Ornellas qui en parle le mieux, au moment de répondre à un chroniqueur qui contestait les chiffres qu’elle donnait à l’antenne au sujet de l’immigration : « Super, mais ça change quoi sur le fond du débat ? […] On se fout des chiffres sur ce débat. […] Est-ce que oui, ou non, la France a changé de visage ? » [5]. De tels épisodes n’ébranlent en rien la crédibilité des intéressés, immédiatement réinvités le lendemain pour de nouvelles prouesses : une semaine plus tard chez Pascal Praud (CNews), Charlotte d’Ornellas commentait une phrase qu’elle attribuait à Manuel Valls, mais dont l’auteur était en réalité… l’humoriste Nicolas Canteloup.


The show must go on

Malgré l’apparent « sérieux » dont se prévalent ces émissions et avec lequel elles prétendent aborder leurs sujets, malgré la responsabilité qu’ont leurs producteurs quant à la façon dont ces sujets pèsent sur le débat public (nous y reviendrons plus bas), il semble que tout ceci ne soit finalement conçu et vécu que comme un pur spectacle. Interrogé sur Inter (« Instant M ») à propos d’un énième « clash » en décembre 2017, Thierry Ardisson, qui paraît se vivre comme un dresseur d’ours, pouffe : « Tant que ça m’amuse, tant que je prends du plaisir, […] c’est des choses que j’ai envie de faire donc je ne vais pas me plaindre de les faire. »

Paru sur le site d’« AOC » le 12 octobre, le très éclairant témoignage de Christian Lehmann [6], « ex-grande gueule », ne dit pas autre chose que la pauvreté et l’hypocrisie de ce « spectacle » :

Lors d’un briefing de départ, les règles du jeu nous avaient été expliquées : on n’était pas dans un salon, mais au comptoir du bar des amis. Il n’était pas nécessaire de laisser un chroniqueur terminer une prise de parole, une démonstration. Il était recommandé de lui couper la parole, à l’unique condition de faire un bon mot ou de le ridiculiser. Une vacherie bien sentie aurait toujours plus de poids qu’un appel à la raison. Chacun se pliait à ce jeu du cirque pour des raisons différentes : certains y voyaient le moyen de maintenir une visibilité en berne, d’autres se rêvaient des carrières politiques, d’autres enfin jouissaient de cette présence médiatique. […] Rapidement, je me suis retrouvé catalogué comme gauchiste de service, étant le seul des quinze chroniqueurs réguliers à voter NON au référendum dont le résultat laissa tout ce beau monde interloqué. […] Je suis resté accroché à mon siège, trop longtemps, plus de trois ans, avant de prendre la décision de partir, peu après avoir croisé dans l’ascenseur de la station l’un des dirigeants, qui me tint ce discours surréaliste : « Ah Christian je vous ai entendu. Vous avez été bon, très bon… Très percutant, surtout dans le deuxième heure… (sourire….. silence……) Ceci dit, je me demandais… Comment dire… J’aime beaucoup votre personnage, qui est très bien identifié : le médecin de gauche, valeureux, humaniste… c’est très très bien, un bon segment. Mais je me demandais… avez-vous pensé, de temps en temps, à prendre une position contradictoire, qu’on n’attendrait à priori pas de vous ? Cela permettrait d’étoffer votre personnage, de rajouter une dimension, d’éviter de vous retrouver cantonné dans un rôle trop stéréotypé. »

Dans leur conception même, ces émissions défigurent, voire dissolvent la confrontation d’idées et la bataille d’arguments au profit de la construction de postures, adoptées par des personnalités en vogue, converties en de simples personnages (d’un bien triste film). Les éditocrates « polémistes » en tirent un avantage stratégique : l’agressivité inhérente à leur rôle permet, en collaboration avec la bienveillance des organisateurs/animateurs, de cantonner leurs adversaires dans un rôle de « décodeur ». En effet, qu’il s’agisse de personnes défendant ouvertement d’autres options politiques, ou d’intervenants revendiquant simplement une compétence sur un sujet spécifique, son rôle de « contradicteur » se limitera le plus souvent à devoir démentir ou rétablir certains faits.


Une parole de « décodeur » de plateau, en somme, auquel on ne donnera pas ou peu de temps pour traiter du fond des dossiers ou apporter d’autres points de vue, et encore moins pour réorienter les débats selon d’autres questions et d’autres cadrages. Le processus est le même à l’échelle des médias en général : chaque nouvelle polémique huile la machine de « décodeurs » en tout genre et autres pastilles de « désintox », contraintes de produire rectificatif sur rectificatif et de démonter les propos d’Éric Zemmour & cie. Un processus qui, quoique louable en apparence, contribue en réalité à restreindre le débat dans le périmètre même que ces éditorialistes tentent d’imposer [7].


Dans l’article d’« AOC » cité plus haut, Christian Lehmann ne peut que constater l’avantage que les polémistes spécialistes du buzz tirent de la course au spectacle :

En dix ans, radios et télévisions ont élargi le champ de ce spectacle aussi insolite qu’insensé : remplir le vide avec du néant. Les chaînes d’info en continu déversent en permanence les commentaires avisés de spécialistes autoproclamés de tout et n’importe quoi. Les rares invités bénéficiant d’une compétence reconnue dans tel ou tel domaine se retrouvent mis à mal par des mollusques de plateau accrochés à leur siège, déroulant avec une louable agilité verbale le spectre de leur connerie. […] Sur la procréation médicalement assistée, le communautarisme, les prénoms à consonance pas bien catholique « parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles », le ban et l’arrière-ban de la droite réactionnaire feront le buzz, enchaîneront platitudes et propos de café du commerce, sous le regard sentencieux ou amusé d’un animateur qui compte les points. Il n’est pas question de réfléchir, d’éclairer, mais de marteler avec le plus de conviction possible des propos de télévangéliste aviné.

Cet avantage dont jouit le personnage de « briseur-de-tabou-anti-système-qui-dit-tout-haut-ce–que-les-Français-pensent-tout-bas » (posture que ces éditocrates revendiquent en permanence) tend à masquer un paradoxe flagrant : son intégration complète au système ! Et en effet, aucun des éditorialistes dont il est question ici n’aurait l’idée saugrenue de critiquer l’ordre médiatique, social ou économique, qui conditionne et demeure le garant de la place privilégiée et dominante qu’ils occupent (tant dans les médias que dans la société) : ils ne rechignent pas à tirer avantage des contraintes du système médiatique ; ils militent pour la persistance et l’approfondissement de différents ordres de domination du système social [8] ; et ils acceptent tous, plus ou moins explicitement, le système économique capitaliste (parfois attaqué pour ses excès liés au néolibéralisme). En bref, les « anti-systèmes » dont rêvent les « pro-systèmes ».


Les obsédantes obsessions des réactionnaires

Au-delà de leur capacité à s’exprimer sur tous les sujets sans compétence ni légitimité, ces idéologues partagent des obsessions qui, nonobstant quelques nuances, s’inscrivent dans le répertoire idéologique de la droite la plus extrême et de l’extrême-droite. Ces obsessions se comptent sur les doigts d’une main et sont rabâchées comme autant de positions qui « brisent les tabous » ou « défient la bien-pensance » :

- l’immigration, constituée comme un problème ; avec ses variantes comme « le grand remplacement » ou « l’islamisation », et ses dérivés comme « les problèmes de laïcité », « les excès de la société multiculturelle », « la perte des valeurs nationales » ;

- le tout habituellement amalgamé sans vergogne à d’autres questions comme « l’insécurité » ou le terrorisme ;l’ordre et l’autorité érigées en valeurs fondamentales dont l’opinion réclamerait « le retour », un patriotisme ostentatoire qui se confond avec le nationalisme le plus cru, un amour immodéré pour tout ce qui porte une arme et un uniforme, une obsession et une surenchère sécuritaires permanentes, le tout étant régulièrement relié à un supposé « délitement de l’école » ;

- la désormais fameuse « dictature féministe », les droits et revendications des LGBT et des personnes racisées ;


Montage Avrimed [9]

Autant de thématiques constamment mises à la « une » d’émissions de « débat », qui contribuent à construire des « cibles de la peur et de la haine » via les informations et « faits d’actualité » choisis et constitués comme sujet de discussion et via le cadrage de ces discussions. Ainsi que nous l’écrivions dans notre article « Les médias et le Front national : indignations sélectives et banalisation effective », qui reste (malheureusement) toujours d’actualité :

Sur l’insécurité, l’immigration ou l’islam, une même conclusion semble dès lors s’imposer, dont témoignent d’innombrables micros-trottoirs qui, pour une fois, ne mentent pas : « Avec ce qu’on voit à la télé ! ». Or ce que l’on voit à la télé ce n’est pas cette réalité qu’il serait malséant de nier, mais la construction médiatique de cette réalité, indexée sur l’audimat. Une construction qui cultive toutes les peurs et les intensifie.

Contexte politique, causes structurelles

Au-delà de la description des pratiques de cette cohorte d’idéologues, et de manière à déborder de vaines alternatives du type « censurer ou non ? » [10], la question est d’abord d’identifier les éléments, externes et internes au fonctionnement médiatique, qui leur permettent d’occuper une telle place dans ces émissions de débats, et à leurs idées… de s’y épanouir.


I. Le contexte économique, social et politique n’est bien sûr pas neutre dans cette affaire. Dans l’article mentionné plus haut, nous écrivions :

L’enracinement [du Front National] est avant tout l’un des effets de la longue crise du capitalisme et de sa gestion néo-libérale, économiquement inefficace et socialement désastreuse, par les gouvernements qui se succèdent en France sans que les politiques changent radicalement. [Et qui se double] d’une crise politique de la représentation par les partis dominants et d’une crise sociale, qui met durement à l’épreuve les solidarités ouvrières et populaires : reflux des luttes sociales victorieuses, recul de la perspective d’une inversion des rapports de forces par des mobilisations collectives et, par conséquent, tentations du repli, qu’il soit national, identitaire ou communautaire.

Quatre ans après la rédaction de cet article, la persistance des mêmes causes aboutit à l’approfondissement des mêmes effets. L’entrelacement des crises économique, sociale et politique sur lesquelles se sont greffées des vagues d’attentats terroristes depuis 2015 continue de créer un contexte porteur pour le Rassemblement National, à mesure que se droitise l’ensemble du paysage politique [11]. Si nous parlions en 2014 de la « banalisation médiatique » du parti d’extrême-droite et de ses idées, en pointant notamment « l’idée absurde selon laquelle le Front national poserait de vrais problèmes, mais apporterait de mauvaises solutions (comme si les solutions n’étaient pas largement impliquées dans la façon de poser les problèmes) », quatre ans plus tard, le processus semble plus qu’abouti : force est de constater qu’un large spectre du champ politique considère non seulement que l’extrême-droite pose de « vrais problèmes », mais partage désormais un certain nombre de solutions qu’elle prétend leur apporter…


II. Au-delà du contexte politique général, des causes structurelles liées au fonctionnement du système médiatique et aux modes de production des émissions, notamment télévisuelles, expliquent la présence à haute fréquence de ces professionnels de la polémique. Le juteux business que représente la production audiovisuelle [12] engendre une concurrence sévère entre les différentes sociétés évoluant dans un contexte de concentration, de course à l’audimat et au profit. Rappelons par exemple que la société de Cyril Hanouna s’est vue gratifiée d’un contrat de 250 millions d’euros sur 5 ans avec Canal + en 2015, garantissant au producteur/animateur un pré-carré confortable sur C8, qu’il sature nuit et jour de ses programmes, et avec eux, de ses « dérapages » sexistes ou homophobes (entre autres). Rappelons également, comme le remarquait Daniel Schneidermann dans son billet « Zemmour, tête de gondole du producteur d’Ardisson », que certaines connivences et « double voire triple casquettes » – permises notamment par l’appropriation privée de sociétés de production, sites d’information et structures culturelles – favorisent la circulation et la visibilité de certains professionnels de la polémique :

Pour son émission Les Terriens du dimanche, Ardisson a un co-producteur, nommé Stéphane Simon. Ce producteur, outre qu’il est actionnaire de Télé Paris, société qui produit Les Terriens du dimanche, est un aussi actionnaire principal d’un nouveau site d’extrême-droite, La France LibreTV, co-fondé par le polémiste André Bercoff et l’avocat Gilles-William Goldnadel (par ailleurs chroniqueur dans cette même émission d’Ardisson, le monde est petit). Or, que découvre-t-on en se connectant sur La France libre ? Que les 100 premiers abonnés (au prix préférentiel de 40 euros au lieu de 50) recevront un cadeau. Quel cadeau ? Tiens, le dernier Zemmour, justement. Et dédicacé.

En plus de l’indépendance, le fonctionnement des sociétés de production pose au système médiatique le problème de l’extrême formatage de ses émissions, avant tout censées attirer le maximum de téléspectateurs. Comme nous l’expliquions plus haut, le format des « talk-shows », peu coûteux à produire, promet d’être rentable si l’audience justifie de demander des tarifs importants aux annonceurs. Un objectif pour lequel une recette médiatique a largement fait ses preuves : choisir des sujets « clivants » ou « polémiques », sur lesquels des invités « clivants » ou « polémiques » viendront s’affronter entre « pour » et « contre », créant ainsi des « clashs » et des « buzz » à même d’être isolés sur les réseaux sociaux (pour que les « fans » poursuivent en ligne les « clivages » et les « polémiques » [13]), avant d’être commentés à l’envi dans les autres médias [14]. La nouvelle émission hebdomadaire « Balance ton post » (C8) [15], produite par la société H2O de Cyril Hanouna – et animée par ce même Cyril Hanouna – ne s’y est pas trompée… et construit précisément l’intégralité des « débats » sur ce fonctionnement propice au « clash » :


Montage réalisé par Acrimed

Si le rôle de ces facteurs structurels est prépondérant, il permet aux intérêts idéologiques de s’épanouir : on peut tout de même noter que parmi les talk-shows ayant octroyé des ronds de serviettes à des éditorialistes de la droite extrême, on retrouve (entre autres) trois émissions diffusées par le groupe Canal Plus (« Les terriens du dimanche » (C8), « L’heure des pros » et « Punchline » (CNews)), dont l’actionnaire principal, Vincent Bolloré, est connu pour sa proximité avec la droite catholique conservatrice.


Et alors ?

Disons-le une fois encore : que des journalistes et des producteurs d’émissions souhaitent inviter des journalistes ou chroniqueurs de la droite extrême ou d’extrême-droite pour leur donner une tribune et/ou les confronter à d’autres intervenants est leur droit le plus strict. Le sujet n’est donc pas ici de reprocher telle ou telle invitation, pas plus que de réclamer l’invisibilisation médiatique d’une de ces « personnalités ». Et pour cause : laquelle bannir ? Sur quel critère ? Et à quel titre ? Que faire de toutes les autres, et de celles qui immédiatement les remplaceraient ?

Si la surface médiatique occupée par ces idéologues pose une question, c’est donc celle de l’organisation de l’espace médiatique, en tant qu’il participe à conformer et construire le débat public. Or, dans son organisation actuelle polarisée sur l’audimat, l’espace médiatique met en scène un débat public où les obsessions de la droite extrême et de l’extrême-droite ont non seulement une très large place, mais servent même régulièrement de cadre aux débats.

En leur accordant tant de place au détriment d’autres discours désireux de mettre d’autres thématiques et points de vue sur le devant de la scène, les médias dominants jouent collectivement, vis-à-vis des idées et du principal parti d’extrême-droite, un rôle « de légitimation et d’incitation : légitimation de thèmes portés par Front national, incitation à lui faire confiance », ainsi que nous l’écrivions dans l’article précédemment cité, « Les médias et le Front National ». Nous notions également qu’il s’agit d’un rôle qui, quoique « second, voire secondaire », pèse « déjà beaucoup, et beaucoup trop ».

Le problème posé par la présence à haute fréquence de ces éditocrates de la droite extrême est donc celle du pluralisme lorsque, du point de vue du temps d’antenne, ces voix sont non seulement surreprésentées sur de très nombreux plateaux de télé ou radio généralistes (en plus de la place dont ils bénéficient dans leurs médias respectifs, rappelons-le [16]), mais également les seules à pouvoir prétendre « concurrencer » celles des éditorialistes et des experts défenseurs de l’ordre social et économique établi, également omniprésents. C’est, entre autres, à travers la présence médiatique soutenue de ces personnalités dites « anti-système », mais en réalité parfaitement intégrées au système médiatique et capitaliste dominant, que la variété des opinions politiques diffusées et débattues dans les médias – déjà réduite à peau de chagrin – tend à se borner à l’alternative mortifère « libéraux contre populistes » [17].


Annexe : Sources du montage de titres

- « Consigny : "Dans les domaines de la mode, de la télé... C’est plus facile de réussir quand on est fils d’immigrés, noir et pédé" », BFM-TV, 23/09/2018

- « Zemmour : "Entre la France et l’islam, les musulmans doivent choisir" », Causeur, 17/01/2017

- « Ivan Rioufol : "Face à l’islam conquérant, la France recule", « Le FigaroVox », 15/02/2018

- « Harcèlement féministe : Habeas Porcus, Les magistrates de #balancetonporc ont condamné la gent masculine », Causeur, 10/11/2017

- « Goldnadel : "Oui, en Seine-Saint-Denis, l’islamisation est en marche" », « Le FigaroVox », 22/10/2018

- « Goldnadel : "La polémique sur Pétain révèle un ‘antinazisme’ devenu fou" », « Le FigaroVox », 12/11/2018

- « Élisabeth Lévy : "Arrêtons de criminaliser le désir masculin !" », « Le FigaroVox », 20/07/2018

- « Immigration, africanisation : Charles Consigny et Charlotte d’Ornellas défraient la chronique », « Le Politique », 24/09/2018

- « Immigration : la fausse fermeté présidentielle », Valeurs actuelles, 21/04/2018

- « Ivan Rioufol : "La France est devenue une zone à défendre" », « Le FigaroVox », 26/04/2018

- « Goldnadel : migrants, féminisme... méfions-nous de l’américanisation du débat », « Le FigaroVox », 15/01/2018

- « Pour Eugénie Bastié, après #MeToo, "les hommes craignent de se retrouver seuls avec les femmes" », « CheekMagazine », 24/09/2018

- « Elisabeth Lévy : "Immigration : la coulpe est pleine !" », Causeur, 11/12/201

- « Charles Consigny : "la diversité, le féminisme et le véganisme sont les religions athées de notre époque", Le Figaro, 5/10/2018

- « Mosquées, les temples du séparatisme », Valeurs actuelles, 14/04/2018

- « Eugénie Bastié : "Après #MeToo, il y a un climat détestable de suspicion généralisée entre les sexes" », France Inter, 24/09/2018

- « Goldnadel : "Le féminisme radical est un outil de tyrannie idéologique" », « Le FigaroVox », 12/03/2018

Pour la rédaction du blog, nous vous recommandons la lecture de "Sur la télévision" de Pierre Bourdieu, petit opuscule très lisible...


[1] Suite à une émission des « Terriens du dimanche », il avait déclaré à la chroniqueuse Hapsatou Sy : « C’est votre prénom qui est une insulte à la France. La France n’est pas une terre vierge. C’est une terre avec une Histoire, avec un passé. Et les prénoms incarnent l’Histoire de la France ».

[2] Suite à son invitation dans la matinale de France Inter au cours de laquelle elle déclarait que depuis #MeToo régnait « un climat détestable de suspicion généralisée entre les sexes » et où elle a pu défendre un propos de son dernier livre selon lequel « une main aux fesses n’a jamais tué personne ».

[3] Suite à une émission de « L’heure des pros » sur CNews au cours de laquelle elle a brandi des chiffres faux sur l’immigration.

[4] Sur un plateau de Pascal Praud (CNews). Voir, notamment, ce papier de L’Express.

[5] Elle répondait alors à Clément Viktorovitch, qui l’interpellait sur les chiffres de l’immigration dans l’émission « Punchline » (CNews) le 20 septembre.

[6] L’article est consultable sur le site d’« AOC ».

[7] Plus généralement, sur le rôle des décodeurs et le journalisme de la post-vérité, voir l’article de Frédéric Lordon et le nôtre.

[8] Précisément les dominations les plus archaïques, fondées sur la classe sociale, l’origine géographique, la couleur de peau, la religion et le sexe.

[9] Voir les sources en annexe.

[10] À laquelle nous ne sommes pas favorables – sur quels critères ? qui pour décider et pour quels effets ?

[11] « Droitisation » que l’on pourrait même faire remonter aux années 1980 avec la conversion du Parti socialiste au néolibéralisme, d’une part, et l’exploitation politique par les partis de la droite gouvernementale des thèmes de l’immigration et de l’insécurité, d’autre part.

[12] Qui a évidemment explosé avec la démultiplication des chaînes de télévision, notamment à partir de 2005.

[13] Cyril Hanouna prospère notamment sur ce système : la communauté des « fanzouzes » dont il se réclame est en permanence stimulée sur les réseaux sociaux et les pages de ses émissions.

[14] Sur le processus qui explique que ces sujets « clivants » suscitent presque mécaniquement davantage d’activité sur les réseaux sociaux, voir cette vidéo du youtuber Un créatif consacrée aux sites d’ « infotainment » et, plus généralement, l’article « De l’information au piège à clics » publié par Le Monde diplomatique en août 2017.

[15] L’émission est diffusée sur C8 depuis le 21 septembre 2018.

[16] Du type Causeur, Valeurs actuelles, le « Figarovox », etc.

[17] Sur ce sujet qui déborde la cadre de la critique des médias, voire l’article (réservé aux abonnés) du Monde Diplomatique « Libéraux contre populistes : un clivage trompeur ».

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