LE SPORT
- administrateur
- 2 mars 2018
- 12 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Pour un sport émancipateur et libéré de l’argent
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Bally Bagayoko, ancien joueur de basket-ball au niveau national et maire adjoint en charge des politiques sportives à Saint-Denis, et Sarah Soilihi, doctorante en droit, championne de France de karaté semi-contact et championne du monde de kick-boxing.
« Dans le sport, nous devons choisir entre deux conceptions :
· la première se résume dans le sport spectacle et la pratique restreinte à un nombre relativement petit de privilégiés ;
· selon la seconde conception, tout en ne négligeant pas le côté spectacle et la création du champion, c’est du côté des grandes masses qu’il faut porter le plus grand effort.
Nous voulons que l’ouvrier, le paysan et le chômeur trouvent dans le loisir la joie de vivre et le sens de leur dignité. »
Léo Lagrange, discours du 10 juin 1936
Notre constat : le sport malade de l’argent
Clubs de football surendettés, mécènes milliardaires, marchandisation des sportives et sportifs et de leurs performances, affaires de dopage, paris truqués, publicités aux montants mirobolants, le « sport business » est généralisé… Ce système démontre régulièrement l’incapacité des logiques de marchandisation à répondre à l’intérêt collectif. Face à cette dérive néfaste et contraire à la philosophie historique du sport, il est urgent d’en rappeler le sens et le message premier.
Depuis l’Antiquité, le sport est avant tout une pratique du corps et de l'esprit, un élément fondamental de l’éducation, de la formation, de la culture et de la vie sociale. Il est aujourd’hui à la « croisée des chemins ». L’effet loupe opéré par sa médiatisation toujours plus importante, les enjeux politiques et économiques dont il fait l’objet et sa popularité lui confèrent une place centrale dans notre stratégie de changement.
La politique sportive est aujourd’hui souvent réduite à la course à l’accueil des grandes compétitions internationales. Paris s’est engagé pour accueillir les Jeux olympiques de 2024. Mais pour faire quoi ? Dépenser à perte des milliards d’euros dans des infrastructures et offrir quinze jours de publicité aux multinationales sponsors ? Pendant ce temps, tant de clubs et tant d’associations sportives populaires luttent pour leur survie.
Plus que jamais, la philosophie et le modèle français de développement du sport et des activités physiques sont remis en cause par leur marchandisation et par l’imposition du paradigme néolibéral (financiarisation, corruption, précarisation).
Dans sa pratique comme dans son organisation, le sport est de plus en plus marqué par de fortes inégalités. Ainsi, on observe les faits suivants :
· 85 % de la couverture médiatique est dédiée aux sports masculins et les femmes sont sous-représentées dans les instances dirigeantes du sport : 11 d’entre elles seulement sont à la tête d’une fédération sportive (sur 116, alors qu’elles représentent 15 % des cadres des fédérations, 15,5 % des conseiller·e·s techniques régionaux, 18,3 % des nationaux et 11,1 % des entraîneur·euse·s nationaux :
· Une fracture se creuse entre le sport amateur, de loisir, populaire, et le sport professionnel
· Les besoins des populations en situation de handicap et autistes sont insuffisamment pris en compte
· Les complémentarités entre bénévoles et encadrement salarié sont insuffisamment exploitées, ce qui se traduit par un déficit de structuration et de pérennisation « professionnelles » des associations sportives (en matière d’emplois), ainsi que par une mauvaise reconnaissance et une insuffisante valorisation de l’engagement bénévole
· Les équipements sportifs de proximité, lorsqu’ils existent, souffrent d’une certaine vétusté, d’une relative inadaptation et d’un renouvellement insuffisant (plus de 300 000 structures dont la moitié arrive en fin de vie)
· Le modèle économique doit être repensé et redéfini, s’agissant aussi bien du sport amateur et de loisir (gestion et exploitation des équipements, licences, emplois) que du sport professionnel (partenariats public-privé pour la construction, la rénovation et la gestion d’équipements, subventions publiques, politique de l’offre et non de la demande)
· La direction, la gouvernance et le mode de gestion sportifs territoriaux méritent également une remise à plat
En outre, les enjeux environnementaux s’imposent aujourd’hui dans le sport, du fait des impacts négatifs engendrés par sa marchandisation et par la multiplication des événements et des pratiquant·e·s (empreinte carbone directe et indirecte, consommation d’eau et d’énergie, production de déchets, prégnance sur les milieux et perturbations des écosystèmes, etc.). Au minimum, le sport doit s’adapter ; mieux encore, il doit anticiper les évolutions des sites et des supports de pratiques en repensant sa philosophie, ses fonctions, ses objectifs et en innovant en termes de matériel et d’équipements.
La rigueur budgétaire encourage le mélange de financements publics et privés dans l’investissement ou le fonctionnement de certaines structures sportives. Ce phénomène s’effectue au détriment des citoyen·ne·s et au bénéfice des firmes sous la forme du « nommage » (naming en anglais), nouvelle ingérence de la finance consistant à donner le nom d’une marque ou d’une entreprise à un équipement sportif en contrepartie d’une redevance. Les multinationales profitent du sport pour faire des profits, imposer leurs règles et signer des contrats juteux, les risques étant toujours assumés par la puissance publique (État et collectivités) : c’est le modèle inefficace du « partenariat » public-privé, outil d’expropriation masquée des pratiquant·e·s. Nous assistons bien à une privatisation des bénéfices et à une socialisation des pertes, de tels montages conduisant en outre à transformer les équipements d’intérêt général en centres commerciaux rentables où le sport ne tient qu’une place secondaire.
Cette dynamique ne concerne pas seulement quelques grands stades, mais le cœur même du mouvement sportif. C’est ce dont témoigne l’exemple de l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) dont la rénovation et une partie de la gestion ont été confiées aux groupes Vinci, Accor et Casino, et dont les missions ont été recentrées exclusivement sur le très haut niveau. Le mouvement sportif est en voie d’être dépossédé de ses meilleurs outils de formation et déconnecté de ses missions éducatives et sociales.
La redéfinition progressive des missions des Creps (Centres de ressources, d’expertise et de performance sportives, anciens centres d’éducation populaire et de sport), créés pour être à la fois des lieux de formation des cadres de l’éducation populaire, d’entraînement des sportifs de haut niveau, de recherche et de développement, devenus simples campus de l’excellence olympique, est le symbole d’une telle évolution, dont la conséquence ne pourra être que de couper l’élite du haut niveau de la masse des pratiquant·e·s, c’est-à-dire de sa base et de son vivier.
LES CHIFFRES DU SPORT EN FRANCE :
Le mouvement sportif est la plus grande force associative française avec ses 16 millions de licencié·e·s sportif·ve·s, son réseau de clubs, ses salarié·e·s, ses 3,5 millions de bénévoles dans 180 000 associations affiliées à des fédérations membres du Comité national olympique sportif français (CNOSF). Ce mouvement représente :
· 116 fédérations sportives agréées par les ministères des Sports et de la Jeunesse, avec un budget de 190 millions d’euros apportés par l’État, 13,4 milliards d’euros d’investissements apportés par les collectivités locales et territoriales et 260 millions d’euros budgétés dans le cadre du Centre national du développement du sport (0,15 % du budget de l’État est consacré au soutien à la politique sportive)
· 274 000 emplois, 317 000 associations, soit 24 % des associations françaises, la valorisation du bénévolat étant estimée à 7,5 milliards d’euros ;
· plus de 47 milliards d’euros en 2015 (bénévolat compris) soit 37 milliards d’euros de richesse générée par le sport (environ 1,8 % du PIB) ; une croissance de 2 % par an en moyenne de l’économie du sport dans le PIB ; des droits de retransmission de 11 milliards d’euros avec une variation de plus de 45 % entre 2007 et 2015
· 35 millions de Français·e·s (de plus de 15 ans) qui déclarent avoir pratiqué au moins une activité physique durant l’année
· 253 euros par an dépensés par chaque ménage français dans des articles de sport
· 23,5 millions de personnes qui pratiquent une activité physique au moins une fois par semaine (49 % de la population)
Le ministère des Sports connaît d’ailleurs lui-même une sorte de privatisation : le remplacement en 2006 du Fonds national de développement du sport (FNDS) par le Centre national du développement du sport (CNDS) n’a pas été qu’un changement de nom, mais a entériné une profonde réorientation. Créé en 1979 et abondé par un prélèvement sur les recettes de la Française des Jeux, puis des retransmissions télévisées via la « taxe Buffet » sur les contrats entre les fédérations sportives et les chaînes de télévision, il avait initialement pour but le développement du sport pour tou·te·s. Or, il est devenu un outil de justification au service du désengagement de l’État - celui-ci délaissant le budget consacré au sport - et de la légalisation, en 2010, des paris en ligne, censés alimenter ses ressources.

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