LA SANTE, NOTRE BIEN COMMUN
- administrateur
- 3 mars 2018
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Frédéric Pierru, sociologue, Riva Gherchanoc, élue à la santé à Montreuil (93), et Noam Ambrourousi, haut fonctionnaire.
Notre constat : la libéralisation contre notre santé
Notre système de soins, reconnu comme un des plus efficaces du monde, subit depuis trente ans les conséquences des politiques de privatisation et de libéralisation. Les politiques menées ces dernières années ont eu des conséquences sanitaires néfastes. La France est caractérisée par des inégalités sociales de santé parmi les plus hautes en Europe (six années d’écart d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre). Notre taux de mortalité prématurée est très élevé. L’espérance de vie en bonne santé diminue depuis 2006. Les cancers environnementaux se multiplient et le taux de renoncement aux soins pour raisons financières est en augmentation constante.
La France n’a pas de politique de santé au sens fort, c’est-à-dire de politique affichant des valeurs et des priorités démocratiquement débattues. Pire, ce semblant de politique de santé a été réduit à la seule dimension budgétaire. On ne parle de la Sécurité sociale que dans le cadre de la dramaturgie du « trou de la Sécu ». Et le seul but est d’acclimater les esprits à des « réformes impératives », visant la réduction des dépenses publiques de santé et leur transfert vers le secteur privé. Cette privatisation rampante profite d’abord aux intérêts privés, comme les assureurs et l’industrie pharmaceutique. Elle est aussi néfaste pour les structures de santé, leurs personnels et pour la santé de la population. En réalité, elle est particulièrement coûteuse. L’exemple des États-Unis, dont le système de santé est majoritairement privé, devrait faire réfléchir. Les dépenses de santé représentent 17,1 % du PIB contre seulement 11,5 % en France et l’espérance de vie y est de 78.8 années (en baisse) contre 82.4 pour les Français. Les inégalités sociales de santé y sont encore plus élevées, les plus riches ont accès aux technologies de pointe alors que des millions de pauvres se ruinent pour combattre les cancers par exemple. Privatiser la santé est à la fois inégalitaire et inefficace !
Sans réflexion stratégique ni un regard sur le long terme, notre système de santé subit des cures d’austérité à répétition et aux effets désastreux pour la population :
· Délais de rendez-vous scandaleusement longs, pénuries de spécialistes, etc. L’accès aux soins devient de plus en plus difficile avec le développement des déserts médicaux. Le nombre de médecins généralistes a diminué de 8,4 % entre 2007 et 2016 et rien n'est fait ; en 2025, la France en aura perdu un quart. Mais cela ne concerne pas uniquement la médecine de ville, le secteur hospitalier fait aussi face à des fermetures d’établissements, à la suppression de lits et à une insuffisance des effectifs de personnels soignants
· La multiplication des dépassements d’honoraires qui rendent la santé de plus en plus inabordable, à l’heure où trois personnes sur dix renoncent à se soigner par manque d’argent
· La dégradation d’organismes à la base de la prévention et d’accès aux soins primaires comme la protection maternelle et infantile (PMI), la médecine scolaire ou la médecine du travail. Ces trois structures relais doivent faire face à des suppressions de postes, qui causent l’affaiblissement de leurs moyens et de leurs missions
· La privatisation croissante de notre système de soins : la prise en charge par la branche maladie de la Sécurité sociale n’a cessé de reculer pour passer sous les 50 % en ce qui concerne les soins courants (hors affections de longue durée et hospitalisation). Dans ces conditions, il est souvent impossible d’accéder aux soins sans disposer d’une « complémentaire santé », coûteuse et foncièrement inégalitaire
A l'opposé, les firmes pharmaceutiques, elles, s’enrichissent ! Les cinq principales industries pharmaceutiques ont dépassé les 200 milliards d'euros de revenus en 2015, pour des bénéfices de 47 milliards.
Pourtant les enjeux sanitaires sont gigantesques. Selon l’Organisation mondiale de la santé, dans le monde, 6,5 millions de décès par an (12 %) sont associés à la pollution de l'air. L’usage généralisé des pesticides et l’absence de restriction des perturbateurs endocriniens sont les conséquences du productivisme le plus aveugle.
En outre, dans les prochaines décennies, nous serons confrontés aux conséquences du vieillissement de la population et de la transition épidémiologique, c’est-à-dire l’explosion des maladies chroniques comme le diabète ou les cancers. Notre système n’est pas préparé à faire face à ces pathologies, qui nécessitent des prises en charge intégrées et axées sur la prévention et l’éducation thérapeutique. Il y a urgence, la menace d’un krach sanitaire plane. Dans ces conditions deux défauts majeurs de notre système doivent faire l’objet de réponses déterminées :
· Le cloisonnement des politiques publiques, qui réduit la santé à la question de l’offre de soins et qui empêche toute mise en cohérence entre politiques environnementales, sociales et sanitaires. Se focaliser comme aujourd’hui sur l’offre de soins sans prendre en compte les déterminants principaux de l’état de santé de la population, que sont les conditions sociales et environnementales, c’est se condamner à l’échec.
· Les carences historiques en matière de coordination, aggravées ces dernières années par la mise en concurrence délibérée des différents acteurs de l’offre de soins (ville/hôpital/clinique, médical/médico-social/social), sont antinomiques de prises en charge globales et cohérentes de la population.
Enfin, notre système de santé souffre de son caractère bien peu démocratique. Les leviers de décision ont été accaparés par un conglomérat composé de mandarins, de technocrates, d’experts et de représentants du secteur privé. Pourtant, les citoyens ne demandent qu’à s’impliquer : les Français sont profondément attachés à leur système de santé et à l’hôpital public ; ils s’opposent à l’option de la privatisation. Le succès du film de Gilles Perret, La Sociale, montre que l’ensemble de la population refuse l’austérité et la privatisation qui lui sont imposées.
LES MÉDECINS GÉNÉRALISTES ET LES URGENCES DANS LA TOURMENTE
La médecine de ville est en proie à une dérégulation croissante. Outre les dépassements d’honoraires, la crispation sur la liberté d’installation est un facteur majeur des inégalités géographiques d’accès aux soins. Le paiement à l’acte incite les médecins à faire des consultations courtes et très prescriptrices. A cause de ces barrières, de nombreux patients recourent aux urgences ou aux consultations externes des hôpitaux. Or, ces derniers sont sous pression budgétaire et se voient sommés, du fait de la mise en place de la tarification à l’activité et de l’application des techniques de gestion du secteur privé, de devenir des entreprises et de « faire du chiffre », aux dépens des conditions de travail des soignants et de la qualité des soins délivrés aux patients. Tout ce qui ne relève pas de la technique (prévention, éducation thérapeutique, médico-social) y est marginalisé et fragilisé. C’est la mission sociale et de santé publique de l’hôpital qui est atteinte. En aval, il n’existe pas assez de lits en soins de suite et de réadaptation, en psychiatrie, en EHPAD [Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. Des patients qui ne devraient plus être dans les services de l’hôpital y demeurent car ils se trouvent sans alternative.
Résultat des réformes : tous les acteurs du système de soins souffrent et chaque compartiment cherche à transférer ses coûts sur les autres. Les plus jeunes professionnels ne veulent plus de l’exercice libéral individuel en ville. Le taux d’absentéisme des soignants s’envole à l’hôpital, dont l’attractivité décline. La solidarité des équipes de soins est mise à mal par les modes de management inspirés du privé. Les patients voient, au final, se dégrader l’accès et la qualité des soins.
NON À « L’HÔPITAL ENTREPRISE ! »
Par Sabrina Ali-Benali, interne des hôpitaux de Paris
« Nous les soignants, demandons seulement à pouvoir travailler dans des conditions dignes, respectueuses de nos métiers et de nos patients.
Les plans d’austérité successifs et les mesures prises dans tous les secteurs de santé dénaturent le rôle des soignants. Ceci nous empêche de pratiquer notre travail de prise en charge globale du patient, tant sur le plan somatique et psychique que sur le plan humain.
On ne peut pas réduire un patient à sa pathologie. Une personne malade n’est pas une succession d’actes à tarifer ; et non, on ne soigne pas forcément mieux en soignant plus vite.
Chaque malade est différent, par sa pathologie bien sûr, mais aussi par son âge, son vécu, son contexte socio-économique, son entourage familial, etc.
Une majorité de personnels soignants, tous métiers confondus, souffrent d’avoir parfois l’impression de maltraiter leurs patients, tant il devient difficile de pouvoir pratiquer une vraie prise en charge humaine, d’avoir la possibilité de passer du temps auprès du lit du malade.
Sans compter l’épuisement physique et moral des personnels médicaux et paramédicaux. Ce sont des métiers particuliers compte tenu de leur proximité directe avec la maladie, la mort, mais aussi, fort heureusement, avec quelques bonheurs humains. Ces professions doivent donc être protégées et les temps de repos nécessaires doivent être respectés afin que les soignants puissent assurer leur travail sans mettre en péril leur santé physique et mentale. Aujourd’hui, le manque d’effectif, la surcharge de travail et les impératifs de « rentabilité » imposés par ces logiques d’économies drastiques nuisent gravement à la santé des personnels soignants et à la prise en charge de nos patients. »
Notre projet : rendre au peuple son système de santé
La refonte progressiste et démocratique de notre système de santé est une urgence. L’héritage du Conseil national de la résistance (CNR) a été l’objet d’attaques pernicieuses mais résolues depuis trente ans.
Il y a urgence à réaffirmer les principes d’égalité et de solidarité. Nous entendons donc procéder à une révolution citoyenne de notre système de santé qui s’appuiera sur quatre piliers :
· La mise en cohérence des politiques économiques et sociales, environnementales et de santé avec un rôle fondamental accordé à la prévention
· La mise en place d’un système de santé égalitaire et accessible à tous, qui suppose une égalité de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire et une prise en charge intégrale des dépenses de santé par l’assurance maladie.
· La démocratisation des politiques de santé afin de permettre une réappropriation de ces questions par les citoyens et de veiller à ce que ces politiques servent l’intérêt général plutôt que des intérêts particuliers.
· La mise à disposition de moyens financiers à la hauteur de ces enjeux.
Nos propositions : une santé accessible, publique et gratuite
1- Priorité à la prévention
Il convient d’adopter une approche intégrée des politiques publiques et de réorienter le système de santé vers la prévention. La prévention primaire cherche à agir d’abord sur la genèse environnementale des pathologies. La santé n’est pas réductible à la médecine. Les inégalités sociales, le taux de pauvreté, la précarité, les conditions de travail, le système éducatif, les conditions d’alimentation ou la qualité du lien social influent de façon déterminante sur l’état de santé. Il faut donc se fixer comme priorité de lutter contre ces maux, avant de traiter la question de l’offre de soins. Un programme de santé cohérent doit être articulé avec des mesures sociales et environnementales qui contribuent à l’amélioration de l’état de santé de la population. C’est ce que propose L’Avenir en commun : la promotion de l’agriculture écologique et paysanne, la réforme de l’école, la généralisation du bio et la gratuité dans les cantines scolaires, la garantie dignité, la Sécurité sociale du logement, l’éradication de la précarité, la réduction des inégalités de revenu et de patrimoine sont des mesures qui participent de façon décisive à l’amélioration de la santé et à la réduction des inégalités sociales de santé.
Dans le cadre d’un plan de prévention des maladies liées à la pollution aux pesticides, à l’alimentation, à la consommation de drogues, à la souffrance au travail et au stress, nous défendons donc les propositions suivantes :
· La réduction des inégalités sociales de santé, laquelle suppose d’identifier les causes des « non-recours » aux droits sociaux et d’y remédier. La prise en charge à 100 % des soins par l’assurance maladie s’inscrit dans cette démarche : en supprimant les labyrinthes bureaucratiques des aides comme la CMU-C (Couverture maladie universelle et complémentaire) ou l’aide à l’achat d’une complémentaire santé, le recours aux soins sera grandement facilité. Comme le souhaitaient les créateurs de la Sécurité sociale, la protection maladie deviendra un droit universel et non une prestation d’assistance conditionnée à des seuils de revenus
· Sur le plan environnemental, une réévaluation complète de l’ensemble des substances chimiques utilisées sur le territoire français. Nous refuserons les OGM et bannirons les pesticides nuisibles en commençant par une interdiction immédiate des plus dangereux (glyphosate, néonicotinoïdes, etc.)
· La lutte contre la consommation de tabac et d’alcool, premiers facteurs de mortalité prématurée, devra être intensifiée
· En matière d’alimentation et lutte contre l’obésité et la malbouffe, il conviendra de faire respecter la signalétique en cinq couleurs et d’introduire des seuils maximums de sel, de graisses et sucres plus restrictifs dans le secteur de la restauration collective, notamment scolaire
· Un plan de lutte et de prévention contre les maladies sexuellement transmissibles et la promotion des politiques de santé sexuelle et reproductive, émancipatrices des personnes
· L’intégration pour tout projet ou proposition de loi, d’un volet santé dans l’étude d’impact préalable
· S’agissant de la prévention primaire, la santé publique deviendra une discipline majeure du cursus des futurs professionnels de santé et le réseau de structures relais sera considérablement densifié : les Protections maternelles et infantiles (PMI) verront leurs moyens renforcés tandis que les effectifs de médecins du travail et de médecins scolaires seront significativement augmentés grâce à des recrutements ambitieux et à la revalorisation des rémunérations.

Comments