LA MER, NOUVELLE FRONTIÈRE DE L’HUMANITÉ
- administrateur
- 6 mars 2018
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Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Élise Ballet, océanographe, et Nicolas Mayer, chef de pôle cultures marines et environnement à la Direction départementale des territoires et de la mer de la Gironde.
Notre constat : la mer et ses ressources sont en danger
La Terre est la seule planète de notre système solaire à être habitable en raison de la présence massive d’eau à sa surface.
70 % de sa superficie est recouverte d’eau qui permettent la survie de l’humanité. Les deux tiers de la population mondiale vivent à moins de 100 kilomètres d’une côte. En France métropolitaine, c’est 50 % de la population qui vit dans une bande de 100 km près des côtes.
Pourtant, la mer nous reste largement inconnue. Aujourd’hui encore, nous ne connaissons qu’une infime partie de cet espace gigantesque. Et alors même que la mer n’a pas révélé l’ensemble de ses secrets, elle subit déjà de plein fouet le dérèglement climatique provoqué par l’activité humaine : réchauffement entraînant la fonte des glaciers, acidification réduisant la biodiversité, hausse généralisée du niveau des mers et des océans…
Une étude réalisée en 2014 offre les premières simulations détaillées de l’acidification de la Méditerranée : entre 1800 et 2001, elle aurait absorbé entre 1 et 1,7 milliard de tonnes de carbone issu des activités humaines ; son Ph a diminué de 0,08 unité, soit une augmentation de 20 % de son acidité. Cette évolution est similaire à celle des océans. La montée du niveau des eaux est estimée à 60 cm dans les 100 prochaines années : associée aux tempêtes qui sont des aléas environnementaux, elle fait courir un risque croissant aux populations.
LES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LA MONTÉE DU NIVEAU DES MERS
D’après un rapport du Sénat de 2015, sans adaptation à la remontée du niveau marin, 0,2 à 4,6 % de la population mondiale serait soumise à des submersions marines de récurrence annuelle en 2100 si cette remontée est comprise entre 25 et 123 cm. En raison de leur faible élévation et de leur taille réduite, de nombreuses îles basses sont menacées par une submersion partielle ou totale. Environ un·e habitant·e sur quatre et un emploi sur trois seraient directement concernés par le risque d’inondation, en raison de l’augmentation de l’urbanisation. Selon certains experts, « 15 % de la population française (neuf millions de personnes) » vit « dans des secteurs qui, à plus ou moins long terme, seront touchés par une inondation d’intensité remarquable ». Une étude de l’OCDE montre que les villes du bassin méditerranéen (notamment Naples, Marseille, Athènes et Alger), du golfe du Mexique et de l’Asie du Sud sont des villes où le risque d’inondation devrait s’accroître le plus. L’étude estime à 350 millions de dollars en moyenne, par an et par cité, les dépenses à engager, soit, pour les 136 villes étudiées, un montant total de 50 milliards de dollars par an.
Le rôle central de la mer dans la vie humaine devrait en faire un bien public. Loin de cette vision, la mer est devenue un nouvel enjeu pour les capitalistes et les intérêts privés : urbanisation sans contrôle des littoraux, pollutions, pêche intensive, course à l’extraction des minerais, pétrole et gaz offshore, etc. La mer est un bien commun essentiel gravement menacé : par le productivisme, l’appropriation privée, les tensions entre nations et les conflits d’usages que les océans suscitent et subissent. Dans tous les domaines, l’austérité budgétaire réduit les investissements publics au profit des intérêts particuliers des financeurs privés : privatisation du port du Pirée en Grèce, baisse du budget mer en France… Il faut que ça cesse !
Avec 11 millions de km2 d'espace maritime, notre pays dispose du deuxième territoire maritime du monde. C’est un trésor, une opportunité fantastique pour notre peuple dans le siècle qui commence. La mer est un nouvel horizon politique, écologique, culturel, scientifique. C’est aussi une responsabilité historique. La mer est indispensable à l’écosystème qui rend possible la vie humaine. La question n’est pas de savoir s’il faut s’intéresser à elle, mais comment et pour quoi faire ? Il est urgent de faire entrer la mer dans la politique. Va-t-on reproduire au large les mêmes dégâts que ceux provoqués à terre ? Ou bien en s’adonnant à la mer de façon maîtrisée n’allons-nous pas du coup changer le mode de production terrestre ?
La France peut agir de façon décisive. Elle ira en tête de ce nouvel âge de l’expansion humaine. Cet enjeu de civilisation est la responsabilité particulière de la France.
Notre projet : « et la mer apportera à chacun.e des raisons d’espérer »
Cette citation de Christophe Colomb est à l’image de l’ambition que porte la France insoumise, celle de faire de la mer l’horizon de la règle verte et de la planification écologique.
Projet politique qui vise à recomposer progressivement la transition de l’ensemble des moyens de production, de consommation et d’échange, la règle verte implique qu’il ne soit pas prélevé dans la nature davantage que ce que la Terre peut reconstituer.
L’économie de la mer que nous portons est le support de ce nouveau paradigme. Levier d’entraînement de toute l’activité, elle rompt avec les logiques productivistes, le pillage des ressources et le saccage de l’environnement. Modèle à construire avec ambition et méthode, l’économie de la mer pose les bases d’une recomposition destinée à rayonner et à refonder notre rapport à la nature.
Face au modèle dominant de croissance sans finalité autre que la multiplication des biens de consommation, nous proposons une entrée en mer raisonnée, nouveau chemin de développement et de progrès, matrice à même de redonner le goût du futur. Ambition en partage pour un pays qui doute de lui-même, de ses capacités et de son destin, l’économie de la mer trace une voie pour sortir du marasme.
« La France dispose du deuxième territoire maritime du monde. “Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée.” Cette phrase de Richelieu porte toujours : le gouvernement de François Hollande méprise ce potentiel de notre pays. La mer est pourtant le nouvel horizon de l’humanité. Elle est aussi un bien commun essentiel gravement menacé. Et la France ? Son devoir est fixé par son rang. C’est une opportunité fantastique pour notre peuple dans le siècle qui commence. La mer a le goût du futur pour les Français. »
« La France, puissance maritime qui s’ignore », Jean-Luc Mélenchon (Revue internationale et stratégique, 2014, n°95)
Nos propositions : la mer, bien commun et nouvel horizon de l’humanité
1- Agir pour l’environnement littoral
La Loi Littoral, fruit de la prise de conscience collective autour de la mer et votée à l’unanimité en 1986, sera préservée et son impact sera évalué.
· Une politique d’aménagement précautionneuse dans la consommation d’espace couvrant la gestion du trait de côte, la protection des populations, l’amélioration des plans de circulation et de transport en commun, le logement et la mixité sociale sera mise en œuvre. Le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres aura pour mission de préserver, en partenariat avec les collectivités territoriales, les espaces naturels, côtiers ou lacustres, d’intérêt biologique et paysager
· L’assiette et les montants des droits annuels de navigation sur les bateaux de plaisance seront harmonisés, que le navire soit immatriculé en mer ou en eaux intérieures
· Les initiatives locales en matière de gestion du trait de côte seront soutenues ; l’ingénierie publique au service des élus et des territoires sera renforcée ; un observatoire national du trait de côte regroupera les observatoires locaux
· Notre programme de 200 000 logements publics par an concernera également les zones littorales, en métropole comme dans les Outre-mer où trois logements sur dix correspondent à des résidences secondaires inoccupées huit mois par an. La lutte contre l’habitat indigne sera par ailleurs une priorité avec la mixité sociale pour objectif
· L’État s’engagera aux côtés des élu·e·s locaux par une participation aux financements des plans de circulation, pour le développement des transports doux, la création d’aires de covoiturage et le report modal.
2- Investir dans les énergies marines renouvelables
Au plus vite, dans le cadre du Commissariat à la planification écologique, une conférence des énergies marines renouvelables (EMR) réunira les industriels du secteur, les professionnels de la mer et les ONG. L’équilibre entre les potentialités énergétiques des sites et la limitation des conflits d’usage sont systématiquement recherchés. Un contrat d’objectif fixera le programme de développement des énergies marines renouvelables (EMR). D’autres mesures seront nécessaires :
· Construire une filière industrielle des énergies marines renouvelables
· Nationaliser la branche énergies marines d’Alstom et Adwen, la filiale d’Areva aujourd’hui abandonnée à General Electric, Siemens et Gamesa
· Assurer le développement et la maîtrise publique des réseaux et installations de production
· Revoir la politique foncière et soutenir financièrement les investissements portuaires nécessaires au développement des énergies marines renouvelables
· Fixer l’objectif de production d’électricité par les énergies marines renouvelables à 30 GW en 2050 comme le prévoit le scénario Négawatt
· Lancer sans délai de nouveaux programmes pour l’éolien posé pour poursuivre le développement et amplifier la dynamique jusqu’à 15 GW en 2030
· Élargir la programmation pour l’éolien flottant, l’étendre à 7,5 GW en 2030
· Engager le premier volet de production par l’hydrolien dès la validation des phases de test
· Renforcer la recherche et développement et les projets pilotes pour le stockage de l’électricité
· Poursuivre la recherche et développement sur les autres EMR (houlomoteur, énergie thermique des mers, etc.)
· Développer dans tous les Outre-mer les programmes d’énergies thermiques des mers ; élaborer un plan pour l’autonomie énergétique des Outre-mer par les EMR : relancer le projet d’autonomie énergétique de l’île de la Réunion, développer les EMR aux Antilles et en Guyane
· Développer l’usage des algues comme substitut du pétrole : favoriser la recherche pour la production de carburants à partir d’algues non comestibles ; soutenir le développement des productions de plastiques d’algues par la commande publique
· Décréter un moratoire sur l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures offshore dans les eaux territoriales françaises.
POUR UN PÔLE PUBLIC DE L’ÉNERGIE INTÉGRANT LES EMR
La logique de concurrence dans le secteur de l’énergie prouve aujourd’hui son absurdité. Quel spectacle incohérent de voir nos champions industriels s’affronter au lieu de coopérer : Alstom produit des éoliennes offshore avec EDF contre GDF, mais des hydroliennes avec GDF contre EDF. Tous ces efforts seront rassemblés et mis en cohérence dans le cadre de la construction d’un pôle public de l’énergie comprenant la branche énergie d’Alstom.
3- Développer la pêche durable
Inventer la « pêche durable » implique de revoir de fond en comble le modèle d’exploitation des ressources marines et de mettre en œuvre les mesures suivantes :
· Changer la définition française de la pêche artisanale (bateaux de moins de 25 mètres avec armateur embarqué) : elle doit s’aligner sur l'acception internationale, c’est-à-dire un·e patron·ne embarqué·e sur un bateau de moins de 12 mètres utilisant des engins « dormants » (impact moindre sur l’environnement)
· Protéger les emplois et le savoir-faire artisans par la mise en place d’un usage exclusif de la bande côtière des 12 milles nautiques aux pêcheurs artisans (navires de moins de 12 mètres)
· Prendre en compte la petite pêche française pour les orientations des politiques publiques du secteur : cela passe par la consultation des travailleur·euse·s artisan·e·s, qui représentent la majorité des pêcheur·euse·s en France
· Appliquer les quotas pluriannuels équitables pour donner de la visibilité aux pêcheur·euse·s et mettre fin au chalutage en eau profonde
· Garantir la transparence des aides publiques allouées au secteur de la pêche
· Mettre en œuvre avant 2020 les objectifs de développement durable des Nations unies (ODD)
· Assurer plus d’équité dans les accords de pêche Nord-Sud : cela implique que l’Union européenne réforme ses accords de pêche pour accompagner le développement des États, notamment africains, avec lesquels elle traite pour avoir accès à leurs ressources sauvages
· Développer les plans de gestion des pêches pluriannuels pour donner de la visibilité aux professionnel·le·s et pour une gestion durable des stocks
· Conditionner l’application du « zéro rejet » à des études d’impact économique et social préalables et à des mesures d’accompagnement pour les petits armements
· S’engager dans un plan de renouvellement de la flotte de pêche pour des navires plus sûrs et plus sobres, tout en garantissant une réduction de l’effort de pêche. Les aides s’adresseraient en priorité aux 1 700 navires de plus de 37 ans
· Mettre en place un plan national de conversion des engins de pêche pour en améliorer la sélectivité
· Protéger 30 % du territoire maritime français en réserves intégrales de façon à restaurer les ressources et la biodiversité marines et à permettre aux surplus de poissons d’alimenter une activité de pêche en périphérie des réserves.
4- Soutenir l'aquaculture extensive et écologique
Pour cela, nous mettrons en œuvre les actions suivantes :
· 8Revoir le « plan stratégique national de développement des aquacultures durables 2020 » pour le rendre plus ambitieux et renforcer les points forts de l’aquaculture française : conchyliculture, ostréiculture…
· Utiliser les champs d’EMR offshore pour développer des zones d’aquaculture en pleine mer, introduire des récifs artificiels favorisant l’algoculture (récifs qui créent des cantonnements inaccessibles aux engins de pêche de type chalut de fond)
· Engager l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) dans la création d’un département de recherche pour l’amélioration variétale des algues, sur le modèle de ce que pratique l’Inra, et en excluant les transformations génétiques
· Soutenir les alternatives à la pêche minotière, notamment l’alimentation des poissons d’élevage par les sous-produits de la filière de transformation des produits de la mer, l’algoculture et la culture des protéagineux
· Développer l’aquaculture écologique à terre dans les marais littoraux, notamment ceux acquis par le Conservatoire du littoral.
5- Mettre en place le modèle coopératif et les circuits courts
· Soutenir les projets coopératifs visant à la transformation et à la distribution des produits de la mer
· Adapter les règles administratives pour la transmission familiale des entreprises de pêche sur le modèle existant dans la conchyliculture
· Inclure un volet « Produits de la mer de France » dans un plan national de développement des circuits courts dans la restauration collective publique et privée, en s’assurant de privilégier les méthodes de pêche écologiques et artisanales
· Appliquer un coefficient multiplicateur encadrant les marges des distributeurs par rapport au prix d’achat au pêcheur ou au producteur.

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