DES MEDIAS AU SERVICE DU PEUPLE
- administrateur
- 25 févr. 2018
- 13 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mars 2018
Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Sophia Chikirou, spécialiste de communication politique et sociale, Guillaume Tatu, journaliste indépendant. Antoine Prat, doctorant en sciences sociales et Charles Plantade, haut-fonctionnaire en étaient les rapporteurs.
« Je croirais vraiment à la liberté de la presse quand un journaliste pourra écrire ce qu’il pense vraiment de son journal dans son journal »
Guy Bedos, Journal d’un mégalo, 1994
Notre constat : l’information en danger, des médias sous contrôle oligarchique
Leur cadre économique et leur type de propriété mettent directement en danger le pluralisme démocratique.
La concentration des médias au sein de quelques grands groupes industriels est un recul considérable de leur indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent et des intérêts privés.
Novembre 2016 : durant 31 jours, la quasi-totalité des journalistes de I-Télé, chaîne d’information privée détenue par l’homme d’affaires Vincent Bolloré, est en grève. Les journalistes dénoncent leurs conditions de travail et la ligne éditoriale du nouveau propriétaire. Bolloré sortira vainqueur de ce bras de fer avec les journalistes : ils seront plus de cent à quitter l’entreprise.
D’autres médias connaissent des situations similaires même si elles sont moins spectaculaires : les personnels des médias se retrouvent tous, tôt ou tard, pris dans la tourmente des stratégies des groupes qui en sont propriétaires.
L’influence politique est également une menace sur le contenu de l’information. Les pressions sont nombreuses, comme Sarkozy en son temps ou bien plus récemment le pouvoir PS avec les affaires Aude Lancelin et Cécile Amar, respectivement licenciées et sanctionnées par la direction de L’Obs, pour des raisons politiques. La crise est profonde.
L’évolution des médias français est le résultat de stratégies orchestrées par des groupes industriels et financiers qui se livrent une guerre d’influence et de puissance. Le système médiatique est aux abois. Dans les années 1980, François Mitterrand avait œuvré pour que la « télévision et la radio soient décentralisées et pluralistes » afin de garantir la liberté d’expression. L’héritage du Conseil national de la Résistance, pour maintenir à distance les « puissances de l’argent et les influences étrangères », a été attaqué de toute part.
Dans les années 2000, alors qu’internet a commencé à bousculer le modèle économique des médias, les grands propriétaires se sont jetés sur la bête blessée avec deux objectifs : faire des profits et gagner en influence.
Les années 2010 ont vu ces stratégies s’amplifier avec l’entrée dans la danse de groupes de télécommunications aux méthodes implacables : Free, SFR, Bouygues, Numéricable… Détenteurs des canaux de diffusion (les box), ils sont aussi propriétaires de sociétés de production, de communication, de publicité et de médias.
La mercantilisation des médias constitue une transformation encore jamais atteinte dans notre pays. Désormais, le système médiatique est organisé dans la perspective d’accroître les profits publicitaires. Les campagnes de publicité dans les médias ont représenté près de 11 milliards en 2015, soit un tiers du total des dépenses de communication des annonceurs. Les missions d’information, tout comme la déontologie des journalistes, quelle que soit leur rubrique, sont dévoyées pour se plier à la règle du marché. Dans la presse, les prix de vente au public ne cessent d’augmenter. À la télévision et à la radio, la « compétition publicitaire » se durcit.
LA MULTITUDE DES SUPPORTS MÉDIATIQUES EST UN TROMPE-L’ŒIL
80 % des médias sont entre les mains de 9 milliardaires. Au total, ils sont une vingtaine à détenir la quasi-totalité des supports médiatiques. Les quelques titres « indépendants » sont détenus par des journalistes, des rédacteurs et des associations d’abonnés (« les amis de »). Pour eux, la prédominance de la logique publicitaire est une épée de Damoclès : se vendre à des annonceurs, c’est commencer à renoncer à cette indépendance.
Quelques chiffres :
• près de 5 000 titres de presse écrite ;
• 32 chaînes nationales de télévision ;
• 41 chaînes locales en métropole, 26 dans les Outre-mer ;
• 268 services nationaux de télévision ;
• en plus des radios publiques, 900 radios privées.
À ces supports s’ajoutent les médias numériques, déclinaisons et exclusifs, dont la dépendance aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Google, etc.), notamment avec le traitement des données, est d’ores et déjà source d’inquiétudes.
Source : CSA et ministère de la Culture.
Dans cette logique financière à courte vue, les propriétaires de médias généralisent aux salarié·e·s des méthodes de management totalement étrangères à celles qui ont toujours prévalu dans ce milieu. En lieu et place d’une gestion horizontale entre pairs, ils installent des directeurs généraux et directeurs de rédaction missionnés pour appliquer les objectifs de restructuration et d’orientation
« éditoriale ».
En parallèle, les personnels et prestataires de ces mêmes médias voient leurs conditions de travail se précariser. Les journalistes, photographes, techniciens, secrétaires de rédaction, kiosquiers, imprimeurs et transporteurs subissent les plans sociaux, les contrats précaires, les retards de paiements et de dures conditions de travail.
La qualité de l’information et des « contenus » proposés au public est elle aussi affectée par ce système. Le voyeurisme, le sensationnalisme, la course au scoop, la « nécessité » de faire bref, sont autant de déviances qui nuisent à l’expression pluraliste des opinions, à la dignité des personnes, voire, dans certains cas, comme lors des attentats de janvier 2015, à la sécurité physique des personnes.
Le mal est profond quand les médias se font les défenseurs d’une pensée unique. Les éditocrates se succèdent pour nous répéter matin et soir qu’ « il n’y a pas d’alternative » au démantèlement du Code du travail et des services publics, au recul de l’âge de la retraite, pas d’alternative à la guerre au Proche-Orient ou à l’alliance avec les États-Unis, pas de salut hors de l’austérité de madame Merkel et du vote pour ses clones français. Ces médias au service du renoncement politique assènent les mantras libéraux, productivistes, sécuritaires, européistes et atlantistes pour leur donner valeur d’évidence et fabriquer le consentement.
Entre deux sermons idéologiques, les grands médias intercalent des divertissements sensationnalistes ou dégradants. Ce « temps de cerveau disponible » est ponctué par de grandes rasades de pub et d’appel à la consommation sans limite.
Les pouvoirs politiques successifs ont renoncé à réguler le secteur. L’inertie des organes de régulation tels que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou de la Haute autorité chargée du contrôle des fréquences laisse le champ libre aux ambitions de concentration des grands groupes. Les instances en charge de la régulation, de l’attribution des licences et du contrôle ne sont plus adaptées pour affronter la logique du tout-marchand. Les autorités censées assurer l’autorégulation du secteur montrent leur inefficacité, que ce soit pour endiguer la crise des agences ou celle du métier de journaliste.
Les médias et l’audiovisuel publics, quant à eux, évoluent sans boussole : leur mission de service public se voit limitée par les réductions budgétaires et le manque de moyens humains.
Les aides publiques à la presse, destinées en principe à favoriser le pluralisme des opinions, sont octroyées selon des critères inadaptés à l’objectif. Ainsi, un magazine « people » peut recevoir plus d’aides publiques qu’un journal local d’opinion politique ! En outre, les grands groupes privés captent l’essentiel des subventions versées par l’État.

Notre constat : l’information en danger, des médias sous contrôle oligarchique
Enfin, les médias sont heurtés de plein fouet par la révolution numérique. Les chaînes télé et radio en ligne se multiplient ; l’information « en continu », diffusée par internet et les mobiles, devient la norme. Dans le même temps se développe l’impression trompeuse que filmer, photographier, rendre compte des faits ne nécessite plus ni savoir-faire professionnel, ni déontologie.
La « convergence numérique » (le rapprochement de l’écrit, du son et de la vidéo) permet la création de médias nouveaux et inventifs. Cependant, la domination des plateformes possédées par des géants américains d’Internet, les Gafam (Google, plateformes Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) pose de sérieux problèmes relatifs aux libertés et droits des utilisateurs, des auteurs et des médias eux-mêmes, comme le montre l’accord déséquilibré signé en 2013 entre Google et des éditeurs de presse français. Leur contrôle sur les canaux de diffusion, le débit de l’information, la hiérarchisation des actualités, ou encore sur la production culturelle et artistique, atteint désormais des niveaux déraisonnables.
Notre projet : la révolution citoyenne dans les médias
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ».
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
La France insoumise placera l’indépendance des médias au cœur du projet constitutionnel de la 6e République. Nous réaffirmerons le rôle indispensable des médias dans la vie publique par la définition d’un cadre institutionnel renouvelé et des règles fondamentales pour protéger le pluralisme des médias et la liberté des journalistes, ainsi que pour assurer la diversité et la qualité des contenus.
Nous défendons l’idée d’une transformation en profondeur du secteur médiatique par le recours à trois leviers démocratiques :
· La constitutionnalisation de la mission d’information des médias et du pluralisme démocratique
· L’adoption d’une loi anti-concentration et d’une loi visant à protéger les sources des journalistes
· La création d’un Conseil national des médias, organe citoyen de régulation et de contrôle
La réforme des médias doit permettre d’atteindre les objectifs suivants :
· Construire l’indépendance des médias
· Garantir le pluralisme démocratique
· Protéger les professionnel·le·s des médias
· Développer et encourager la création et la diversité dans les médias
Le projet que nous défendons place le numérique comme un horizon de développement pour l’humanité. Les changements technologiques sont des opportunités que la puissance publique doit orienter au service de la majorité et de l’intérêt général tout en encourageant le développement de médias innovants et accessibles à toutes et tous.
L’information, la culture et les arts constituent un bien commun qui doit être soustrait aux logiques financières et d’influence dans un souci de partage. Les premières mesures que nous prendrons visent à renouveler le cadre institutionnel et législatif des médias en tenant compte de l’intérêt général.

Comentários