CONSTRUIRE L’ECONOMIE SOCIALE ET COOPÉRATIVE
- administrateur
- 6 mars 2018
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Dernière mise à jour : 29 mars 2018
« Le gouvernement provisoire de la République s’engage à garantir l’existence des ouvriers par le travail. Il s’engage à garantir le travail […] à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail. »
Décret du gouvernement provisoire de 1848 rédigé par Louis Blanc
Notre constat : les principes coopératifs à la croisée des chemins
Dès la fin du XIXe siècle, Jaurès dénonçait le paradoxe que la République avait fait du travailleur un citoyen dans la cité, mais qu’il restait un serf dans l’entreprise.
Le principe de démocratie générale implique au contraire que la République garantisse les droits mais aussi le pouvoir des salariés, comme le faisait déjà la Constitution de 1946 dans son préambule « Tout travailleur participe par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu’à la gestion des entreprises. » Depuis plus de trente ans, les entreprises sont totalement dominées par les exigences de leurs actionnaires. Ainsi, c’est le point de vue des acteurs les plus éloignés des réalités concrètes de la production, et les moins dépendants personnellement du fonctionnement de l’entreprise, qui prévaut. Sans dispositifs nouveaux imposés par la loi, le point de vue des salarié·e·s ne sera pas davantage pris en compte et le partage inégalitaire des richesses se poursuivra.
L’Économie sociale et solidaire (ESS) est un mode de production au service des territoires dont l’objet privilégie la place de la personne sur le profit avec, pour objectifs premiers, la réalisation du projet collectif et la pérennité financière de la structure. Elle inclut des formes d’activités telles que les initiatives de développement local, de réinsertion et de lutte contre l’exclusion, la protection de l’environnement, les solidarités internationales.
Ses principes fondamentaux sont : la gestion démocratique, la solidarité et la défense de l’intérêt général, la libre adhésion, la lucrativité limitée (en encadrant notamment les salaires et en limitant la rémunération du capital) et la juste répartition des excédents.
Le modèle coopératif apparaît au XIXe siècle, en rapport avec les prémisses de la Révolution industrielle et corollairement avec la naissance des premiers mouvements de pensée socialistes (utopiste, libertaire ou marxiste) et des expériences qui en découlent. En France, de nos jours, c’est généralement le statut juridique de Scop, sociétés coopératives et participatives, qui permet la déclinaison de ces principes fondateurs. Les associé·e·s des Scop sont majoritairement salarié·e·s. L’échelle des salaires y est en moyenne de 1 à 3. Les Scop sont la pointe avan-cée de l’ambition démocratique dans le monde de l’entreprise. Sur le mode du « une personne égale une voix », elles garantissent aux salarié·e·s le droit de décider collectivement des orientations et du mode de fonctionnement de l’entreprise. Les Scic, sociétés coopératives d’intérêt collectif, dessinent également un nouveau modèle économique qui associe non seulement les salarié·e·s, mais aussi les usager·e·s et client·e·s, les collectivités publiques et d’autres partenaires.
Le but de l’ESS est de faire vivre la démocratie sociale dans les entreprises et d’avoir d’autres buts que le simple profit (ex. : commerce équitable, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne [Amap], etc.). L’ESS se développe dans de très nombreux secteurs : santé (mutuelles), social, services aux personnes, environnement, culture, éducation, banques, assurances, commerce, BTP, agriculture, etc. La réussite de ces entreprises en autogestion montre que la rentabilité ne nécessite pas l’inféodation au capitalisme.
Initiées par le mouvement ouvrier naissant, les associations, coopératives et mutuelles, composantes fondatrices de l’ESS, ont connu un nouvel élan avec la création en 2000 d’un secrétariat d’État dédié et la tenue des états généraux de l’ESS en 2011. La loi de 2014 a donné au secteur une visibilité inédite mais la montagne a finalement accouché d’une souris. Ainsi, la question de la gouvernance démocratique, à savoir le partage du pouvoir entre les parties prenantes, salarié·e·s, usager·e·s-client·e·s et partenaires publics et privés, y a été totalement minimisée. Et l’on a vu arriver en force les tenants de l’« entrepreneuriat social », vantant les mérites d’une activité économique à vocation sociale, voire écologique, tout en méprisant, au nom de l’exigence de rentabilité, la démarche citoyenne de partage horizontal du pouvoir.
L’ESS EN CHIFFRES
L’Économie sociale et solidaire regroupe les structures suivantes : coopéra-tives, mutuelles, associations, syndicats et fondations qui ont une gestion du capital démocratique (sur le principe un·e adhérent·e = une voix) et organisent un partage équitable des bénéfices.
Elle produit près de 10 % du PIB national et embauche 10 % des salarié·e·s :
2,2 millions de Françaises et Français y travaillent. Les femmes y sont majoritaires, à hauteur de 65,5 %. Les emplois sont en majorité non délocalisables, fortement intégrés aux territoires, et constituent parfois la première filière d’activité dans certaines zones rurales. 500 000 de ses salarié·e·s dépassent les 50 ans, soit 23 % ; c’est donc un secteur économique qui embauchera massivement d’ici une dizaine d’années. Cela représente 288 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, soit + 5,1 % par rapport à 2009. L’ESS a créé 23 % des emplois au cours des dix dernières années quand l’économie classique n’en créait que 7 %.
L’actuel gouvernement (gvt Valls) a décidé, à l’instar de la Commission européenne, de promouvoir la marchandisation des activités associatives, à travers les « contrats à impact social ». Ces derniers visent à faire financer l’action sociale par les entreprises privées, afin de diminuer les dépenses de la sphère publique. Un tel désengagement de l’État et des collectivités territoriales transforme le travail social en un marché, le « social business ». Les investisseurs privés ne manqueront pas, au passage, de se servir ; ils y trouveront, à tout le moins, l’occasion de réduire leurs impôts. L’intérêt général et l’utilité publique sont bien loin !
Parallèlement à ces évolutions, les Scop, coopératives de production, connaissent depuis une douzaine d’années une progression spectaculaire : elles étaient 1 700 en 2005 et sont près de 3 000 en 2017. Elles comptent aujourd’hui en France 50 000 salarié·e·s. Leur congrès national, qui s’est tenu en octobre 2016, s’est donné pour objectif d’atteindre le nombre de 70 000 d’ici quatre ans. Les délocalisations d’entreprises ont, dans le même mouvement, provoqué de beaux combats pour la reprise en coopérative par leurs salarié·e·s : Scop TI (ex-Fralib), La Fabrique du Sud (ex-Pilpa). Il y a eu plus de 100 reprises, transmissions et transformations d’associations en coopératives au cours de l’année 2015, soit 32 % des créations de Scop cette année-là ! Il en est de même à travers le monde : en Europe comme en Amérique latine, les reprises par socialisation des entreprises par les travailleurs se multiplient.
De nouveaux mouvements citoyens, porteurs d’alternatives sociales et écologiques, ont émergé à travers tout le pays. Avec Alternatiba ou les forums sociaux mondiaux, une nouvelle génération militante se déploie pour faire face à la crise climatique et à la mondialisation libérale. C’est un grand espoir de voir se développer ces mouvements citoyens, porteurs de projets alternatifs au capitalisme et au libéralisme, même s’ils rencontrent des difficultés à se fédérer.
Notre projet : construire des alternatives citoyennes, sociales et écologiques
L’appropriation sociale ne se réduit pas à la propriété publique. Des formes coopératives, associatives, autogestionnaires sont également possibles pour la production d’un bien ou d’un service.
De telles formes de propriété participent de l’objectif stratégique de rupture avec la marchandisation généralisée et de développement de l’autonomie des acteurs sociaux.
Face à la prédation de la finance et à la dictature des actionnaires, une autre économie est possible ! Dans cette période qui combine crises économique, financière, sociale et écologique, les projets de l’ESS permettent de développer ici et maintenant des démarches concrètes qui dessinent les contours d’un autre monde, plus juste et plus respectueux de l’avenir de la planète et de l’Humanité. Les acteurs de l’ESS peuvent ainsi permettre de reprendre la main en créant des coopératives et des entreprises d’insertion, en développant les circuits courts et en soutenant la création de filières économiques écologiques.

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