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ALTERNATIVES A L’UBERISATION

Dernière mise à jour : 29 mars 2018


Ce livret a été rédigé par un groupe de travail coordonné par Karim Asnoun, chauffeur de taxi, Danielle Simonnet, conseillère de Paris et Nicolas F., sociologue.




Notre constat : l’Ubérisation, c’est la régression sociale


La révolution numérique est une nouvelle révolution industrielle.

Le développement actuel du numérique, soumis aux logiques financières, mène à un éclatement des structures de travail.


Il conduit à l’apparition d’un modèle organisé autour de plates-formes digitales dans un nombre toujours croissant de domaines économiques et de services : transports, logistique, commerce, hôtellerie, éducation, etc.


La plate-forme Uber est devenue le symbole du désordre social généré par la dérégulation de l’économie en ayant recours aux outils numériques. «l’Ubérisation» de l’économie se caractérise par une déréglementation sauvage des professions et des secteurs ainsi que par un contournement frauduleux et généralisé des règles fiscales et sociales. Elle provoque une disparition rapide des droits des travailleur·euse·s, par le recours massif à l’auto-entrepreneuriat. Ce statut, créé en 2008 par Nicolas Sarkozy et François Fillon, s’accompagne d’une détérioration inédite des conditions de travail. L’uUbérisation pousse toujours plus loin la logique du capitalisme d’accumulation des profits dans les mêmes mains et de compression des salaires et des droits des sociaux.


Cette grande régression sociale n’a rien à voir avec la révolution numérique qu’il est possible de mener ! Oui, la révolution numérique peut être une opportunité pour revitaliser les garanties sociales et donner plus de liberté et de dignité dans l’exécution des tâches professionnelles. Il est donc urgent de réguler l’acti-vité des plates-formes de type Uber et de construire un cadre protecteur du travail de toutes et tous. C’est en soutenant des modèles d’économie numérique démocratique respectueuse de ses usager·e·s que l’on empêchera la ponction du fruit du travail vers les profits.


LA SPIRALE DE L'ENDETTEMENT : L’EXEMPLE DE MICHAËL, CHAUFFEUR DE VTC

Auparavant chauffeur de direction, il se lance à son compte en auto entrepreneur, et utilise les applications pour trouver des clients. Mais, progressivement, les tarifs baissent, les clients se font moins nombreux et les courses moins intéressantes. Or, il a investi dans un van haut de gamme à 27 000 euros. Il passe en société en 2015, mais sa situation se dégrade progressivement. Au cours de l’année 2016, il se retrouve endetté, ne parvient plus à payer son loyer, et est contraint de revenir vivre chez ses parents. Il parle d’Uber comme d’une société de « foutage de gueule », qui promet des chiffres d’affaires faramineux à ses « partenaires » mais qui maltraite en réalité ceux qui y sont de fait en position de salariés.


Notre projet : une économie numérique qui protège


Nous ne sommes pas les premier·e·s à nous élever contre les dégâts de l’Ubérisation. Dès janvier 2013, les taxis se sont mobilisés contre la déréglementation de leur profession et la concurrence déloyale des plates-formes de type Uber. L’hiver dernier, les chauffeurs de VTC ont protesté contre la casse des prix pratiquée par les plates-formes. L’Urssaf a également engagé des procédures contre Uber afin d’exiger le paiement des cotisations patronales. Dans le secteur de la livraison de repas à domicile, des collectifs de coursiers à vélo se sont formés après la fermeture brutale des plates-formes Tok Tok Tok et Take Eat Easy. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, et dans la plupart des grandes villes du monde où les plates-formes de l’ubérisation s’implantent, des milliers de travailleur·euse·s tentent d’obtenir la requalification de leur pseudo-indépendance en salariat et lutter contre la surexploitation dont ils sont l’objet.


C’est au contact de ces luttes et en coopération avec plusieurs de ses acteur·trice·s que nous avons construit notre projet. Nous estimons qu’il est néfaste pour notre société que celles et ceux qui travaillent n’aient ni sécurité ni autonomie, et nous nous élevons contre la destruction des métiers. Il faut donc que la collectivité et les lois soient en capacité de ramener les travailleur·euse·s des secteurs ubérisés vers des situations socialement acceptables et économiquement vertueuses.


Nos propositions : le numérique au service de tous


1- Respecter les travailleurs et sauvegarder les métiers


Les deux premières propositions pour protéger les salarié·e·s consistent à abroger la loi El Khomri et revenir sur les lois Macron. Nous rétablirons la hiérarchie des normes sociales et le principe de faveur. En outre, nous formulons plusieurs propositions :

· Permettre à tou·te·s les travailleur·euse·s affilié·e·es au régime social des indépendants (RSI) de rejoindre le régime général de la sécurité sociale. À l’heure où le travail indépendant est une grande réserve de travail à moindre coût, il est nécessaire d’harmoniser les protections et les garanties de l’ensemble des travailleur·euse·s en élargissant le régime général à toute la population active


TAXI/VTC, UNE CONCURRENCE DÉLOYALE

Mohammed A., taxi

« La déréglementation du secteur a inévitablement entraîné une perte conséquente de mon chiffre d’affaires, puis une perte de valeur de l’autorisation administrative que j’avais dû acquérir pour me conformer à la législa-tion. C’est pour moi une injustice profonde puisque ces nouveaux arrivants font la même activité que moi sans en avoir les contraintes. Tu passes, du jour au lendemain, d’un métier noble avec un revenu convenable à la précarité, à une guerre des prix. Et cela nous a tous affaiblis dans le transport de particuliers : taxis comme VTC. »


· Renverser la présomption d’indépendance au profit d’une présomption de salariat Selon le Code du travail, un·e travailleur·euse inscrit·e au registre du commerce et des sociétés (RCS) est présumé·e être indépendant·e, en dépit de la réalité de sa relation de travail. Dans un souci de protection du·de la travailleur·euse, la loi doit prévoir l’inverse : tout·e travailleur·euse réalisant sa prestation de travail dans une situation de dépendance économique (par exemple avec un client unique, ou sous le contrôle d’une plate-forme numérique) doit être présumé·e salarié·e, et ainsi jouir des droits qui s’y rattachent

· Passer de l’économie pseudo-collaborative à l’économie coopérative. Le numérique constitue une formidable opportunité pour permettre à des professions de s’affranchir du coût du capital. Plutôt que de revenir à une entreprise traditionnelle, le dépassement de l’Ubérisation consiste à encourager l’association des travailleur·euse·s en coopérative, qui leur permettrait de contrôler collectivement les plates-formes qui les mettent en relation avec les client·e·s et de cesser d’être ponctionné·e·s par celles et ceux qui en détiennent actuellement les clefs. Le statut de coopérative n'exclut pas le financement extérieur, mais il attribue aux salarié·e·s un minimum de 51 % des parts de la société de façon à ce qu’elles et ils ne soient jamais soumis·e·s à un donneur d’ordre tout puissant comme c’est le cas actuellement pour les VTC. L'État et les collectivités locales doivent donc contribuer à soutenir ces coopératives de travailleur·euse·s indépendant·e·s.


UN PROJET DE COOPÉRATIVE DES COURSIERS À VÉLO

Jérôme Pimot, porte-parole du Collectif Coursiers

« Les plates-formes de livraisons à domicile sont incapables de trouver un équilibre économique, malgré le salariat déguisé sous-payé et la précarisation des livreurs. Leur rentabilité est inatteignable en raison de leur surendettement servant d’abord à financer un marketing intensif rendu vital par la concurrence féroce entre plates-formes. Le nombre pléthorique de livreurs s’accompagne de remboursements récurrents en raison de clients insatisfaits des délais de livraison car les restaurants sont alors débordés. Les conditions de travail des livreurs les épuisent car ils doivent travailler plus qu'il n'est raisonnable pour parvenir à des revenus corrects.

Cet état est en réalité faussement collaboratif. Il est nécessaire de s’orienter vers du coopératif. En partageant les redistributions et en garantissant un statut aux travailleurs, le fonctionnement coopératif permettrait de remettre les livreurs au centre. Le fonctionnement démocratique d’une coopérative aurait aussi un but émancipateur qui répondrait au besoin d’autonomie des livreurs, besoin qui a été jusqu’ici dévoyé par des plates-formes qui ont monnayé leur prétendue liberté contre un statut de travailleur corvéable à merci.

L’économie numérique coopérative peut offrir un vrai rôle à une grande partie de la jeunesse défavorisée, abandonnée et au final stigmatisée. Non pas un sous-rôle de « livreur dans "une" société » qui renverrait une fois de plus les populations précarisées à un emploi de domestique, mais un rôle d’acteur au sein de « LA » société qui ne peut que donner des résultats positifs à une époque minée par le déni de citoyenneté et l’abandon de l'intérêt politique. »


2- Se réapproprier le numérique


· Instituer une procédure d’agrément pour les plates-formes. Il est nécessaire d’établir une structure administrative qui permette d’une part d’accompagner les acteur·trice·s du numérique dans leurs démarches, d’autre part d’adapter la lutte contre les fraudes fiscale et sociale à la nature juridique particulière des plates-formes numériques. Les plates-formes numériques devront donc se soumettre à une procédure d’agrément qui permettra de vérifier qu’elles satisfont aux obligations sociales, fiscales et réglementaires en vigueur

· Construire des plates-formes publiques. Les institutions publiques doivent également se doter de plates-formes numériques d’intérêt général. L’organisation d’un service public par le biais d’une plate-forme numérique permet de fluidifier et de simplifier la mise en relation entre le·la producteur·trice et l’usager·e. Ces plates-formes peuvent aussi bien concerner des services matériels (transports collectifs, réseaux de distribution de produits locaux, etc.) qu’immatériels (accès au droit, transparence des données, etc.). Construire des plates-formes publiques, c’est garantir que la valeur créée par un écosystème est reversée à la société, et non pas capturée sous forme financière. Pour cela, ces plates-formes prendront la forme de logiciels libres et devront garantir l’égalité d’accès et de traitement. Ils feront en outre l’objet d’une concertation permanente avec leurs usagers.


3- Améliorer la qualité des services


Nous estimons qu’un service sûr et de qualité n’est pas compatible avec la dégradation des conditions de travail et la déréglementation des professions. Pour nous, la qualité d’un service passe d’abord par la dignité au travail et la reconnaissance professionnelle, lesquelles nécessitent une rémunération décente et une reconnaissance du statut professionnel du·de la travailleur·euse.


L’évaluation de la qualité et de la sécurité des services doit être assurée par des autorités compétentes plutôt que sous-traitée gratuitement aux usager·e·s. Nous proposons donc la multiplication des moyens des groupements d’intervention régionaux, chargés du contrôle des activités de services, et l’association des usager·e·s à la gestion des plates-formes publiques ou coopérative comme le permet par exemple le statut de société coopérative d'intérêt collectif (SCIC).


Nous estimons en outre que le redéploiement et l’amélioration du secteur public dans les transports, la logistique et l’éducation permettront de pallier les insuffisances qui ont conduit au développement de cette économie sans règle.


LE SECTEUR PUBLIC « S’UBÉRISE » AUSSI

L’Ubérisation est une aubaine pour les entreprises qui veulent faire des économies à peu de frais, et le service public s’y est mis aussi. La Poste a investi dans des plates-formes de livraison rapide (Resto-in) et de course urbaine rapide (Stuart). Keolis, détenue majoritairement par la SNCF, s’est lancée dans la guerre des prix de VTC en investissant dans deux sociétés : LeCab et AlloCab.

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